Cour d’appel de Paris, le 1 juillet 2025, n°25/00677

Par un arrêt du 1er juillet 2025, la Cour d’appel de Paris, statuant sur l’appel d’un jugement du Tribunal de commerce de Créteil ayant prononcé une liquidation judiciaire, se prononce sur la distinction entre liquidation et redressement judiciaire lorsque le débiteur en cessation des paiements présente un projet de restructuration.

Une société exploitant un commerce de restauration rapide avait été assignée par un créancier pour des factures impayées. Le Tribunal de commerce de Créteil, après enquête, avait ouvert une procédure de liquidation judiciaire le 4 décembre 2024, fixant la date de cessation des paiements au 6 avril 2024 et désignant un liquidateur. La société avait relevé appel de cette décision le 19 décembre 2024, sollicitant l’ouverture d’un redressement judiciaire en lieu et place de la liquidation. Le liquidateur, bien que régulièrement assigné, n’avait pas constitué avocat, indiquant ne disposer d’aucun fonds pour se faire représenter. Le créancier à l’origine de l’assignation n’avait pas davantage constitué avocat.

Devant la cour, la société appelante soutenait que ses difficultés résultaient principalement d’un accident survenu à son dirigeant fin 2023, suivi d’une période de rééducation. Elle reconnaissait l’état de cessation des paiements mais contestait le caractère manifestement impossible de son redressement, faisant valoir son intégration au sein d’un réseau de franchise et les travaux de mise en conformité déjà entrepris.

La question posée à la Cour d’appel de Paris était de déterminer si, en présence d’un débiteur en cessation des paiements avérée, la procédure de liquidation judiciaire devait être maintenue ou si l’ouverture d’un redressement judiciaire était envisageable au regard du projet de restructuration présenté.

La cour infirme le jugement en ce qu’il avait ouvert une liquidation judiciaire et prononce l’ouverture d’un redressement judiciaire. Elle retient que « eu égard au montant modéré du passif, à la réorientation de l’activité dans le cadre d’une franchise devant permettre de bénéficier de la marque développée par le franchiseur et à l’implication du dirigeant, tout redressement n’apparaît pas, à ce stade, impossible ».

Cette décision met en lumière l’appréciation souveraine des juridictions quant au critère du redressement manifestement impossible (I) et illustre la prise en compte des perspectives de restructuration dans le choix de la procédure collective (II).

I. L’appréciation actualisée de la cessation des paiements et du caractère manifestement impossible du redressement

La cour rappelle le cadre légal applicable avant d’exercer son pouvoir d’appréciation sur les critères d’ouverture de la procédure (A), puis caractérise l’état de cessation des paiements au jour où elle statue (B).

A. Le rappel du cadre légal et la date d’appréciation de la cessation des paiements

La Cour d’appel de Paris rappelle les dispositions des articles L. 640-1 et L. 631-1 du code de commerce. Le premier texte subordonne l’ouverture de la liquidation judiciaire à deux conditions cumulatives : l’état de cessation des paiements et le redressement manifestement impossible. Le second définit la cessation des paiements comme « l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ».

La cour précise ensuite une règle procédurale essentielle : « en cas d’appel l’existence de la cessation des paiements s’apprécie au jour où la cour statue ». Cette règle, constante en jurisprudence, confère à la juridiction d’appel un pouvoir d’appréciation actualisé. Elle permet de tenir compte des évolutions survenues depuis le jugement de première instance, qu’il s’agisse d’une aggravation ou d’une amélioration de la situation du débiteur.

Cette actualisation présente un intérêt particulier en matière de procédures collectives. Le débiteur dispose ainsi d’un délai supplémentaire pour reconstituer un actif disponible ou négocier avec ses créanciers. La cour exerce alors un contrôle en fait sur les éléments comptables et financiers produits devant elle.

B. La caractérisation de l’état de cessation des paiements malgré un actif reconstitué

La société appelante ne contestait pas l’état de cessation des paiements. Elle faisait toutefois valoir que son passif véritablement exigible se limitait à la créance du demandeur à l’assignation. La cour relève que « le 21 mars 2025, il a été versé entre les mains du conseil de la société un montant de 12.000 euros qui constitue de l’actif disponible ».

Ce versement, intervenu postérieurement au jugement de première instance, aurait pu modifier l’appréciation de la situation. La cour écarte cependant cette analyse en constatant que cette somme « ne suffit pas à faire face au passif exigible ». L’état des créances déclarées s’élevait à 63.681,01 euros à titre définitif, même si la société contestait certaines créances et évaluait son passif réel à environ 45.000 euros.

La caractérisation de la cessation des paiements résulte ainsi d’une comparaison arithmétique entre l’actif disponible et le passif exigible. L’effort financier consenti par le débiteur, bien qu’insuffisant pour écarter la cessation des paiements, sera néanmoins pris en compte dans l’appréciation des perspectives de redressement.

II. Le projet de restructuration comme critère déterminant du choix de la procédure

La cour examine les éléments objectifs du projet présenté par le débiteur (A) avant de justifier l’ouverture d’un redressement judiciaire par l’absence de caractère manifestement impossible du redressement (B).

A. L’examen des éléments objectifs du projet de restructuration

La société appelante avait connu trois exercices déficitaires consécutifs. La cour relève des pertes de 28.726 euros en 2022, de 21.134 euros en 2023 et de 44.592 euros en 2024, pour des chiffres d’affaires respectifs de 106.696 euros, 270.957 euros et 66.875 euros. Ces résultats traduisaient une dégradation significative de l’activité, particulièrement en 2024.

Face à cette situation, la société avait décidé de « organiser différemment son activité de restauration pour une meilleure rentabilité en intégrant le réseau de franchise » spécialisé dans les produits de restauration rapide. Un contrat de réservation de territoire avait été signé le 29 novembre 2024 et des travaux d’aménagement étaient en cours.

La cour examine le prévisionnel d’activité établi par l’expert-comptable de la société. Ce document anticipait un chiffre d’affaires de 498.000 euros au 31 décembre 2025, de 690.048 euros au 31 décembre 2026 et de 826.057 euros au 31 décembre 2027, avec des résultats positifs de 41.068 euros, 69.417 euros et 113.767 euros. Ces projections s’appuyaient sur « les résultats de commerces exerçant sous le même franchise ».

B. L’appréciation favorable des perspectives de redressement

La cour retient trois éléments pour écarter le caractère manifestement impossible du redressement. Le premier tient au « montant modéré du passif ». La société évaluait son passif à rembourser à environ 45.000 euros, ce qui demeurait compatible avec un plan de redressement sur trois ans au regard des résultats prévisionnels.

Le deuxième élément concerne « la réorientation de l’activité dans le cadre d’une franchise devant permettre de bénéficier de la marque développée par le franchiseur ». L’intégration à un réseau de franchise offre généralement au franchisé un concept éprouvé, une notoriété et un accompagnement technique susceptibles de favoriser le redressement.

Le troisième élément réside dans « l’implication du dirigeant ». Celui-ci s’était porté caution à hauteur de 25.000 euros de toute dette que la société serait susceptible de créer durant la période d’observation. Cet engagement personnel témoigne d’une volonté de redressement et sécurise partiellement les créanciers pour la période à venir.

La formulation retenue par la cour mérite attention. Elle ne constate pas que le redressement est certain ou probable, mais seulement que « tout redressement n’apparaît pas, à ce stade, impossible ». Cette tournure négative correspond à l’exigence légale qui impose la liquidation uniquement lorsque le redressement est « manifestement impossible ». Le doute profite ainsi au débiteur et justifie l’ouverture d’une période d’observation permettant d’éprouver la viabilité du projet présenté.

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Hassan KOHEN
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