Cour d’appel de Paris, le 11 juillet 2025, n°23/04044

Je vais rédiger le commentaire d’arrêt de cette décision.

La contribution aux charges du mariage, prévue aux articles 214 et 1537 du code civil, constitue une obligation fondamentale pesant sur les époux quel que soit leur régime matrimonial. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 11 juillet 2025 illustre les difficultés contentieuses que soulève cette obligation lorsqu’elle excède la part normalement due par l’un des conjoints. La question de la créance naissant d’une sur-contribution se pose alors avec une acuité particulière dans le cadre des successions.

En l’espèce, un homme, décédé en 2015, laissait quatre fils issus de deux unions distinctes. Durant son troisième mariage, célébré en 1985 sous le régime de la séparation de biens, il avait financé par des emprunts souscrits en son nom l’acquisition puis l’agrandissement d’une propriété appartenant exclusivement à son épouse. Cette dernière, décédée en 2017, n’avait pas participé au remboursement des prêts malgré l’existence de revenus personnels. Le défunt ne possédait à son décès aucun patrimoine, tandis que son épouse était propriétaire d’un bien estimé à 900 000 euros.

Les deux fils issus de la première union ont assigné leurs demi-frères en partage de la succession paternelle. Ils sollicitaient la reconnaissance d’une créance au profit de cette succession au titre de la sur-contribution aux charges du mariage. Le tribunal judiciaire de Créteil, par jugement du 10 janvier 2023, a ordonné l’ouverture des opérations de liquidation et fixé cette créance à 450 000 euros. Les fils issus de la troisième union ont interjeté appel, soutenant que la clause du contrat de mariage instituait une présomption irréfragable interdisant toute réclamation.

La question posée à la cour était double. Il s’agissait de déterminer si une clause contractuelle présumant que chaque époux s’est acquitté au jour le jour de sa contribution pouvait revêtir un caractère irréfragable. Il convenait également de préciser les conditions dans lesquelles une sur-contribution aux charges du mariage engendre une créance entre époux.

La Cour d’appel de Paris confirme le jugement entrepris. Elle juge que la présomption stipulée au contrat de mariage constitue une présomption simple et non irréfragable. Elle retient l’existence d’une créance au profit de la succession dès lors que le défunt a financé intégralement les emprunts ayant bénéficié au patrimoine exclusif de son épouse.

L’analyse de la clause contractuelle révèle une interprétation stricte de la présomption de contribution (I). La caractérisation de la sur-contribution ouvre droit à une créance dont le quantum appelle une évaluation mesurée (II).

I – La présomption contractuelle de contribution : une interprétation restrictive du caractère irréfragable

La cour procède à une analyse littérale de la clause litigieuse pour en déduire sa nature (A), avant d’en apprécier la portée au regard des circonstances de l’espèce (B).

A – L’absence de stipulation expresse excluant tout recours

Le contrat de mariage des époux comportait une clause aux termes de laquelle « chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre ». Les appelants soutenaient que cette rédaction instituait une présomption irréfragable interdisant de prouver qu’un époux n’aurait pas rempli son obligation contributive.

La cour écarte cette analyse. Elle relève que la clause « est usuellement insérée dans les contrats de mariage » et qu’il n’est pas établi qu’elle aurait été « spécialement imposée par l’une des parties ni discutée par celles-ci ». Cette motivation mérite attention. Le juge refuse de conférer à une stipulation standardisée une portée que les parties n’ont manifestement pas entendu lui donner. La rédaction laisse entendre « une dispense de tenir au jour le jour une comptabilité stricte des dépenses respectives afin de simplifier ainsi la vie commune, et non une règle d’exclusion de toute créance ».

L’arrêt souligne que la clause « ne comporte aucune indication, directe ou indirecte, selon laquelle les époux s’interdiraient tous recours entre eux, ou selon laquelle ils s’interdiraient de rapporter la preuve contraire ». Le caractère irréfragable de la présomption suppose donc une stipulation explicite que le contrat de mariage ne contenait pas.

B – La finalité pratique de la clause : simplifier la vie commune

La cour interprète la clause à la lumière de sa fonction. Elle n’a pas vocation à créer une immunité patrimoniale définitive au profit de l’un des époux, mais à éviter les comptes fastidieux incompatibles avec la communauté de vie conjugale. Les dépenses courantes du ménage n’ont pas à faire l’objet d’une comptabilité minutieuse entre époux.

Cette analyse rejoint la position des intimés qui soutenaient que la clause « concerne les dépenses courantes et non le financement par un conjoint du patrimoine personnel de l’autre ». La distinction est essentielle. Autre chose est de ne pas tenir compte des menues dépenses quotidiennes, autre chose est de permettre à un époux de s’enrichir durablement aux dépens de l’autre sous couvert d’une présomption contractuelle.

La cour confirme ainsi que la présomption n’étant « pas irréfragable, il est dès lors nécessaire de répondre à la demande des parties sur ce point et de rechercher si la contribution a ou non excédé la part incombant » au défunt. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui subordonne le caractère irréfragable d’une présomption conventionnelle à la volonté clairement exprimée des parties.

II – La caractérisation de la sur-contribution : naissance et évaluation de la créance

L’établissement de la sur-contribution aux charges du mariage obéit à des critères précis (A). L’évaluation de la créance qui en résulte répond à des principes d’équité (B).

A – Les critères de la sur-contribution aux charges du mariage

La cour rappelle que « le financement par les époux du logement familial participe des charges du mariage » et que « le paiement par le mari d’un emprunt ayant financé partiellement l’acquisition par l’épouse du logement de la famille peut participer de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage ». Cette solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (première chambre civile, 14 mars 2006, n° 05-15.980).

Toutefois, « compte tenu des revenus respectifs des époux, les dépenses assumées par l’un d’eux peuvent excéder sa contribution aux charges du mariage ». En l’espèce, plusieurs éléments caractérisent cette sur-contribution. Le défunt « assurait le remboursement de la totalité des mensualités de l’emprunt », représentant « environ la moitié de ses revenus ». L’épouse, qui « a néanmoins toujours perçu des revenus », n’a pas « participé, même de façon modeste, à la charge financière des crédits ». Enfin, « la sur-contribution aux charges du mariage s’est traduite par l’absence de patrimoine tant immobilier que financier du de cujus à son décès ».

La cour en déduit que les « dépenses engagées ont excédé l’obligation aux charges du mariage, sans qu’il soit fait état ni que soit prouvée une intention libérale ayant pu justifier ces versements ». L’absence d’intention libérale est déterminante. À défaut de donation établie, les fonds versés conservent leur nature de créance récupérable.

B – L’évaluation mesurée du quantum de la créance

Les intimés sollicitaient la fixation de la créance à 900 000 euros, soit la valeur totale du bien immobilier. La cour rejette cette prétention. Elle juge qu’« il résulte du principe même de la contribution aux charges du mariage que la créance ne saurait être évaluée à la totalité des dépenses effectuées au titre de ces charges, mais seulement à l’excédent sur ladite contribution ».

Cette motivation est juridiquement rigoureuse. Le défunt était « tenu de contribuer aux charges du mariage » et a « bénéficié pendant plusieurs décennies de la jouissance, avec son épouse, du bien immobilier constituant le domicile familial ». La créance ne peut donc correspondre qu’à ce qui excède la part due par le débiteur. Par ailleurs, la cour relève que l’épouse avait financé une partie du prix d’acquisition à hauteur d’environ 14 %, réduisant d’autant le montant de la créance.

La confirmation de la créance à 450 000 euros traduit un équilibre entre les intérêts des héritiers des deux lits. Cette évaluation tient compte de la jouissance du bien par le défunt tout en sanctionnant l’enrichissement indu du patrimoine de l’épouse. La solution préserve les droits successoraux des enfants issus de la première union sans spolier ceux de la seconde.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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