- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’acquisition de la nationalité française par déclaration suppose que le demandeur établisse son identité au moyen d’actes d’état civil fiables et probants. La question de la légalisation des jugements supplétifs étrangers tenant lieu d’acte de naissance constitue un enjeu majeur du contentieux de la nationalité, particulièrement lorsque les conventions internationales ne dispensent pas de cette formalité.
La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 17 juin 2025, a statué sur l’appel formé par le ministère public à l’encontre d’un jugement du tribunal judiciaire de Paris du 23 mai 2024.
Un ressortissant guinéen, se disant né le 5 février 2003 à Conakry, a souscrit le 3 février 2021 une déclaration de nationalité française sur le fondement de l’article 21-12 du code civil, relatif aux mineurs recueillis par l’aide sociale à l’enfance. Pour établir son état civil, il a produit un jugement supplétif du tribunal de première instance de Conakry du 5 mars 2018 tenant lieu d’acte de naissance, ainsi que la copie certifiée conforme de l’extrait d’acte de transcription de ce jugement.
Le tribunal judiciaire de Paris a ordonné l’enregistrement de la déclaration de nationalité et jugé que l’intéressé avait acquis la nationalité française le 3 février 2021. Le ministère public a interjeté appel de cette décision. Devant la cour, il soutient que les pièces d’état civil produites ne sont pas probantes en raison d’un défaut de légalisation. L’intimé demande la confirmation du jugement.
La question posée à la cour était de déterminer si un jugement supplétif étranger dont seule la signature du juge est légalisée, à l’exclusion de celle du greffier, peut valablement établir l’état civil du demandeur à une déclaration de nationalité française.
La Cour d’appel de Paris infirme le jugement et dit que l’intéressé n’est pas de nationalité française. Elle retient que « seule la signature du juge est légalisée, à l’exclusion de celle du chef de greffe, pourtant nécessaire pour attester de la véracité de la signature et de la qualité en laquelle il a agi ». Elle en déduit que l’extrait d’acte de transcription dont le jugement supplétif est le support n’est pas probant.
L’exigence de légalisation des actes d’état civil étrangers s’impose avec une particulière rigueur en matière de nationalité (I), de sorte que le défaut de légalisation complète d’un jugement supplétif emporte des conséquences radicales sur l’acquisition de la nationalité française (II).
I. L’exigence de légalisation des actes d’état civil étrangers en matière de nationalité
La légalisation constitue une formalité essentielle permettant d’authentifier les actes étrangers produits devant les juridictions françaises (A). Son application aux jugements supplétifs tenant lieu d’acte de naissance répond à une logique de protection de la fiabilité de l’état civil (B).
A. Le fondement de l’exigence de légalisation
La cour rappelle qu’« en l’absence de convention entre la France et la République de Guinée emportant dispense de la formalité de la légalisation telle que prévue par la coutume internationale, les actes d’état civil versés doivent être légalisés ». Cette exigence découle du droit international coutumier et s’applique de manière générale aux actes publics étrangers destinés à produire des effets en France.
L’article 47 du code civil, également visé par l’arrêt, pose le principe selon lequel les actes de l’état civil faits en pays étranger font foi s’ils sont rédigés dans les formes usitées dans ce pays. La légalisation participe de cette exigence de régularité formelle. Elle consiste à faire attester par une autorité habilitée l’authenticité de la signature apposée sur un acte, la qualité en laquelle le signataire a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau dont cet acte est revêtu.
Le contentieux de la nationalité présente une spécificité tenant à la charge de la preuve. Conformément à l’article 30 du code civil, celle-ci incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas titulaire d’un certificat de nationalité. Le demandeur doit donc établir son identité « au moyen d’actes d’état civil fiables et probants au sens de l’article 47 du code civil ». Cette exigence probatoire renforce la nécessité de produire des documents parfaitement réguliers.
B. L’application de l’exigence aux jugements supplétifs
La cour énonce qu’« un acte de naissance dressé en exécution d’une décision de justice est indissociable de celle-ci, qui doit par ailleurs remplir les conditions d’opposabilité en France ». Cette affirmation emporte une conséquence importante. Le jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance n’est pas un simple titre exécutoire ; il constitue le support même de l’état civil qu’il établit.
En l’espèce, l’intéressé produisait un jugement du tribunal de première instance de Conakry du 5 mars 2018 ainsi que l’extrait d’acte de transcription de ce jugement. La cour reconnaît que le jugement versé au débat est un original, « ce dont attestent le timbre et le sceau du tribunal, ainsi que les signatures en encre bleue du juge et du greffier ». Elle admet également que la certification par l’officier d’état civil au dos du document n’altère pas son intégrité.
La difficulté résidait dans le caractère incomplet de la légalisation. Le jugement comportait bien la légalisation de la signature du juge par la chargée d’affaires consulaires de l’ambassade de Guinée en France. En revanche, la signature du chef de greffe, pourtant apposée sur le même document, n’avait pas fait l’objet de cette formalité. La cour en tire la conséquence que le jugement, faute de légalisation complète, ne peut valablement établir l’état civil du demandeur.
II. Les conséquences du défaut de légalisation complète sur l’acquisition de la nationalité
L’insuffisance de légalisation prive les actes produits de leur force probante (A), ce qui conduit au rejet de la demande de nationalité indépendamment des autres conditions légales (B).
A. La perte de force probante des actes d’état civil
La cour relève que « seule la signature du juge est légalisée, à l’exclusion de celle du chef de greffe, pourtant nécessaire pour attester de la véracité de la signature et de la qualité en laquelle il a agi ». Cette motivation éclaire la fonction de la légalisation. Il ne s’agit pas d’une formalité purement administrative mais d’une garantie d’authenticité portant sur l’ensemble des signatures apposées sur l’acte.
Le jugement supplétif guinéen avait été rendu à l’audience du 5 mars 2018 en présence du président, du substitut du procureur et du chef de greffe. Deux témoins avaient été entendus. La régularité de la procédure suivie devant la juridiction guinéenne n’était pas contestée. La cour reconnaît d’ailleurs expressément l’authenticité matérielle du document produit.
La légalisation partielle ne suffit pas à conférer force probante à l’acte. La cour en déduit que « la copie certifiée conforme de l’extrait d’acte du registre de transcription (naissance) n° 1778, délivré le 6 mars 2018 par l’officier d’état civil délégué de la commune de Matoto, dont le jugement supplétif est le support, n’est pas probante ». L’articulation entre le jugement et sa transcription explique cette solution. L’acte de transcription tire sa force probante du jugement qu’il transcrit. Si le jugement n’est pas valablement légalisé, l’acte de transcription perd par voie de conséquence sa valeur.
B. L’impossibilité de revendiquer la nationalité française
La cour énonce qu’« en l’absence d’état civil certain, M. [H] [V] ne saurait revendiquer la nationalité française à quelque titre que ce soit ». Cette formule révèle le caractère préalable et déterminant de la preuve de l’état civil dans le contentieux de la nationalité. Sans identité établie, aucune des voies d’acquisition de la nationalité ne peut prospérer.
La cour précise que cette solution s’applique « quand bien même la condition de résidence de 3 ans en France et de recueil par l’aide sociale à l’enfance prévue à l’article 21-12, alinéa 3 1° du code civil n’est pas contestée ». Le ministère public ne contestait pas que l’intéressé avait été recueilli par l’aide sociale à l’enfance et qu’il résidait en France depuis au moins trois ans. Ces conditions de fond, pourtant essentielles à l’acquisition de la nationalité par déclaration, deviennent indifférentes dès lors que l’état civil n’est pas établi.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui subordonne l’examen des conditions d’acquisition de la nationalité à la preuve préalable de l’identité du demandeur. Elle présente toutefois une certaine sévérité pour les ressortissants d’États ne disposant pas de conventions de dispense de légalisation avec la France. Un défaut formel, parfois difficile à régulariser lorsque le demandeur réside en France, suffit à faire obstacle à l’acquisition de la nationalité. La cour ne laisse aucune marge d’appréciation sur ce point. L’exigence de légalisation complète s’impose avec la même rigueur que l’ensemble des conditions de fond prévues par le code civil.