Cour d’appel de Paris, le 26 juin 2025, n°22/04047

La question de la preuve des heures supplémentaires et de la caractérisation de la faute grave demeure au centre des contentieux prud’homaux. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 26 juin 2025 illustre cette double problématique en confrontant les obligations respectives du salarié et de l’employeur dans l’administration de la preuve.

Une salariée avait été engagée le 18 avril 2017 en qualité de responsable comptable par une société holding du secteur du bâtiment. Elle accéda au poste de chef comptable à compter du 1er janvier 2018, moyennant une rémunération mensuelle de 4 200 euros sur treize mois. Le 13 janvier 2020, l’employeur lui notifia un avertissement. Le 13 mars 2020, elle fut licenciée pour faute grave. La lettre de rupture invoquait des erreurs dans les déclarations de TVA, le non-paiement de cotisations retraite, le règlement indu d’un sous-traitant bénéficiant d’un paiement direct, le paiement intégral d’un fournisseur avant réception des travaux et des erreurs récurrentes dans l’établissement des bulletins de paie.

La salariée saisit le conseil de prud’hommes de Villeneuve-Saint-Georges le 13 novembre 2020. Elle contestait son licenciement, sollicitait des dommages-intérêts pour rupture abusive et harcèlement moral ainsi qu’un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires. Par jugement du 7 mars 2022, le conseil la débouta de l’ensemble de ses demandes et la condamna au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. L’employeur soutenait que le licenciement était justifié par une faute grave et sollicitait reconventionnellement des dommages-intérêts pour procédure abusive.

Deux questions se posaient à la cour d’appel de Paris. D’une part, il convenait de déterminer si la salariée avait effectué des heures supplémentaires non rémunérées. D’autre part, la juridiction devait apprécier si les manquements reprochés constituaient une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail.

La cour d’appel de Paris infirme partiellement le jugement. Elle condamne l’employeur à verser un rappel de salaire de 1 038,45 euros outre les congés payés afférents au titre des heures supplémentaires. Elle confirme néanmoins le bien-fondé du licenciement pour faute grave et déboute la salariée de ses demandes indemnitaires consécutives à la rupture ainsi que de sa demande au titre du harcèlement moral.

L’arrêt présente un intérêt certain quant à l’articulation entre la preuve des heures supplémentaires et la qualification de la faute grave. Il convient d’examiner successivement le mécanisme probatoire applicable aux heures supplémentaires (I), puis la caractérisation de la faute grave par l’accumulation de manquements professionnels (II).

I. Le régime probatoire des heures supplémentaires favorable au salarié

La cour d’appel applique le mécanisme de preuve partagée prévu par le code du travail (A), pour en tirer les conséquences d’une carence de l’employeur dans l’administration de la preuve (B).

A. L’exigence d’éléments suffisamment précis à la charge du salarié

La cour rappelle les dispositions de l’article L. 3174-1 du code du travail selon lesquelles « en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies ». Ce texte instaure un système de preuve partagée qui se distingue du droit commun.

La salariée produisait « un tableau des heures supplémentaires qu’elle dit avoir effectuées ainsi que des attestations et des SMS ». La cour considère que ces éléments sont « suffisamment précis pour que l’employeur puisse répondre ». Cette appréciation s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui n’exige pas du salarié qu’il prouve de manière irréfutable la réalité des heures accomplies.

Le seuil de précision requis demeure relativement bas. Un décompte établi par le salarié lui-même, fût-il contestable, suffit à déclencher l’obligation de réponse de l’employeur. La cour ne s’arrête pas aux critiques formulées par ce dernier quant à la valeur probante des attestations, dont l’une émanait de la mère de la salariée et une autre de sa voisine.

B. La sanction de la carence probatoire de l’employeur

L’employeur soulevait plusieurs objections. Il relevait que la salariée établissait elle-même les bulletins de paie et n’avait jamais revendiqué d’heures supplémentaires durant la relation contractuelle. Il pointait les incohérences du tableau produit et la faible portée probatoire des témoignages.

La cour retient cependant que « l’employeur ne produit aucune pièce permettant d’établir de manière objective et fiable le nombre d’heures effectivement travaillées ». Cette formulation rappelle l’obligation pesant sur l’employeur d’assurer le contrôle des heures de travail effectuées. La charge de la preuve bascule dès lors que le salarié a présenté des éléments suffisamment précis.

La cour « arbitre » les heures supplémentaires à la somme de 1 038,45 euros. Cette évaluation souveraine manifeste le pouvoir du juge de fixer le quantum sans être tenu de préciser le détail de son calcul. La réduction considérable par rapport à la demande initiale de 17 223,73 euros traduit néanmoins une appréciation critique des éléments produits par la salariée.

II. La qualification de la faute grave par accumulation de manquements

La cour procède à un examen méthodique des griefs invoqués par l’employeur (A), avant de caractériser la faute grave par la répétition des erreurs malgré un avertissement préalable (B).

A. L’appréciation individualisée des griefs articulés dans la lettre de licenciement

La lettre de licenciement fixe les termes du litige. La cour examine chaque grief pour déterminer s’il est établi. Cette démarche analytique permet d’écarter les reproches insuffisamment prouvés tout en retenant ceux qui sont caractérisés.

Le paiement à tort d’un sous-traitant bénéficiant d’un paiement direct n’est pas retenu. La cour considère que « la production d’un mail de Mme [G] à la société concernée demandant de la contacter est insuffisant à établir que le paiement lui serait imputable ». L’employeur ne rapporte pas la preuve de l’imputabilité du fait fautif.

En revanche, plusieurs manquements sont caractérisés. Le non-paiement des cotisations Pro BTP pour l’année 2019 est « établi par l’expert-comptable ». L’insuffisance de déclaration de TVA et le dépôt d’une déclaration rectificative ne sont « pas contestés ». Le paiement intégral d’un fournisseur alors qu’un simple acompte était demandé est reconnu par la salariée qui invoque sans le démontrer une surcharge de travail. Les erreurs récurrentes sur les fiches de paie sont également établies.

B. L’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise

La cour rappelle que « la faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible immédiatement le maintien du salarié dans l’entreprise ». Cette définition classique implique une appréciation globale des manquements.

La juridiction retient que « la multiplication des erreurs de Mme [G], alors qu’elle avait déjà fait l’objet d’un avertissement, caractérise une faute rendant impossible la poursuite de la relation contractuelle ». L’avertissement du 13 janvier 2020 joue un rôle déterminant. Il établit que la salariée avait été mise en garde sur ses insuffisances professionnelles. La persistance des manquements après cette mise en garde aggrave leur qualification.

La cour prend en compte le niveau de responsabilité de l’intéressée. Un chef comptable dans une holding doit maîtriser les obligations déclaratives fiscales et sociales. Les erreurs relevées ne sont pas de simples négligences ponctuelles mais traduisent un défaut de rigueur incompatible avec les fonctions exercées. Le montant des sommes en jeu, notamment 45 281,96 euros de cotisations impayées et 119 709 euros de TVA rectificative, illustre les conséquences financières pour l’entreprise.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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