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La dignité du salarié, principe cardinal du droit du travail, trouve dans la prise d’acte un mécanisme de protection efficace lorsque l’employeur méconnaît gravement ses obligations. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 3 juillet 2025 illustre cette articulation entre atteinte à la personne et rupture du contrat.
Une salariée, chef de groupe snacking, avait vu son contrat transféré dans le cadre d’une reprise de marché en octobre 2017. Le 29 janvier 2018, une altercation l’opposait au président de la société entrante. Elle était placée en arrêt de travail le jour même. Une déclaration d’accident du travail inexploitable retardait sa prise en charge par la caisse primaire d’assurance maladie. La salariée demeurait sans ressource pendant plusieurs mois et ne recevait aucun bulletin de salaire conforme avant octobre 2018. Le 21 septembre 2018, après l’échec de négociations en vue d’une rupture conventionnelle, elle prenait acte de la rupture en invoquant ces manquements.
Le conseil de prud’hommes de Paris, statuant en formation de départage le 22 décembre 2021, jugeait que la prise d’acte produisait les effets d’une démission. La salariée interjetait appel.
La cour d’appel de Paris devait déterminer si les manquements reprochés à l’employeur présentaient une gravité suffisante pour justifier que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La cour infirme le jugement. Elle retient que le président de la société a tenu des propos violents et injurieux à l’encontre de la salariée, établis par deux témoins directs. Elle constate que la déclaration d’accident du travail, dont « toutes les cases étaient cochées », était inexploitable et avait retardé la prise en charge. Elle relève enfin l’absence prolongée de bulletins de salaire conformes. La cour juge que « ces manquements continus et multiples sont d’une gravité telle qu’ils rendaient impossible la poursuite de la relation de travail ».
La caractérisation de l’atteinte à la dignité par des propos injurieux du dirigeant mérite un premier examen (I), avant d’analyser l’appréciation globale des manquements rendant impossible la poursuite du contrat (II).
I. La caractérisation de l’atteinte à la dignité par les propos du dirigeant
La cour établit la réalité des propos injurieux par un examen rigoureux des témoignages (A), puis qualifie ces faits d’atteinte à la dignité justifiant la rupture (B).
A. L’établissement de la preuve par témoignages concordants
La salariée produisait deux attestations de collègues présents lors de l’altercation. Les témoins rapportaient que le président s’était énervé et avait demandé à la salariée de « dégager », ajoutant « qu’il n’avait pas besoin d’une merde comme elle » ou « d’une grosse merde dans son entreprise ». Il lui aurait ensuite proposé de « signer sa démission ».
La cour écarte les objections de l’employeur. Elle refuse de disqualifier ces témoignages au motif que l’un des témoins venait d’être mis à pied et que l’autre avait démissionné peu après. Elle relève que l’employeur « ne fournit aucune précision sur la suite donnée à cette procédure notamment sur la réalité des faits ». Les attestations produites par l’employeur, imprécises quant à la date et au lieu, ne remettaient pas en cause l’existence des propos insultants.
Cette méthode probatoire traduit une application classique du principe de liberté de la preuve en matière prud’homale. La cour apprécie souverainement la force probante des témoignages sans s’arrêter aux circonstances périphériques invoquées pour les discréditer.
B. La qualification d’atteinte à la dignité imputable au dirigeant
Les propos retenus par la cour constituent une injure caractérisée. Le terme employé, associé à l’injonction de quitter l’entreprise, dépasse le cadre d’un différend professionnel ordinaire. La cour souligne que « les propos de la salariée, bien que vifs, n’ont jamais été insultants », établissant ainsi une asymétrie dans les comportements.
L’imputation des faits au président de la société confère à l’incident une gravité particulière. Le dirigeant incarne l’employeur. Ses propos engagent directement la responsabilité de l’entreprise. La jurisprudence de la Cour de cassation retient de longue date que les violences verbales d’un supérieur hiérarchique constituent un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et de protection de la dignité du salarié.
La cour note que ces propos ont « conduit à un arrêt de travail continu » et que « la salariée n’a jamais repris son emploi ». Le lien de causalité entre l’atteinte et l’impossibilité de poursuivre la relation contractuelle se trouve ainsi établi.
II. L’appréciation globale des manquements rendant impossible la poursuite du contrat
La cour cumule les manquements relatifs à la gestion administrative du dossier (A) et apprécie leur caractère continu pour écarter l’argument de l’ancienneté des faits (B).
A. Les carences administratives aggravant la situation de la salariée
La déclaration d’accident du travail transmise par l’employeur le 6 février 2018 était inutilisable. La cour relève que « toutes les cases étaient cochées », la salariée étant déclarée simultanément de nationalité française et autre, en contrat à durée indéterminée et déterminée, avec et sans arrêt de travail. Cette incohérence a « retardé sa prise en charge par la CPAM et le versement des indemnités journalières ».
L’employeur ne pratiquant pas la subrogation, la salariée s’est « retrouvée privée de toute ressource jusqu’au mois de mars 2018 ». La cour retient que ce n’est que « sur l’insistance » d’une assistante de l’entreprise cliente que la situation a évolué. Elle écarte l’argument de l’employeur selon lequel il aurait accompli toute diligence, relevant qu’il « ne produit pas les courriels en réponse de la CPAM ».
S’agissant des bulletins de salaire, la cour constate qu’« à cette période aucun bulletin de salaire conforme à la situation de la salariée ne lui avait été transmis alors qu’elle était en arrêt de travail depuis le mois de janvier précédent ». Cette carence documentaire privait la salariée d’éléments essentiels pour faire valoir ses droits.
B. Le caractère continu des manquements excluant la prescription
L’employeur soutenait que les faits du 29 janvier 2018 étaient « trop anciens » pour justifier la prise d’acte intervenue en décembre. La cour rejette cet argument. Elle retient que « les manquements de l’employeur ont perduré tout au long de l’année 2018 ». L’atteinte initiale à la dignité, les difficultés de prise en charge et l’absence de bulletins conformes forment un ensemble indissociable.
La cour précise que « des discussions ont eu lieu entre le mois de septembre et le mois d’octobre 2018 pour tenter de parvenir à un accord au sujet d’une rupture conventionnelle ». Ces négociations infructueuses attestent que la salariée n’avait pas renoncé à se prévaloir des manquements. La prise d’acte, intervenue après leur échec, s’inscrit dans la continuité d’une situation conflictuelle non résolue.
Cette approche globale et chronologique des manquements correspond à la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Un fait ancien peut justifier une prise d’acte lorsqu’il s’inscrit dans un ensemble de manquements dont les effets persistent. La cour conclut que « ces manquements continus et multiples sont d’une gravité telle qu’ils rendaient impossible la poursuite de la relation de travail », formule qui reprend le critère posé par la chambre sociale pour apprécier le bien-fondé de la prise d’acte.