Cour d’appel de Pau, le 1 juillet 2025, n°21/01827

Par un arrêt du 1er juillet 2025, la Cour d’appel de Pau a confirmé un jugement du juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de Tarbes du 20 avril 2021, ordonnant la liquidation d’une indivision entre anciens concubins sur la base d’un accord sous seing privé.

Deux personnes ont vécu en concubinage et acquis ensemble, suivant acte notarié des 19 et 20 juin 2013, une maison d’habitation et un terrain pour un montant total de 207 720 euros, financés notamment par un prêt immobilier de 180 000 euros. Le couple s’est séparé en mars 2019. Le 6 avril 2019, les anciens concubins ont rédigé un document manuscrit intitulé « accord », aux termes duquel l’un reconnaissait devoir à l’autre la somme de 71 000 euros, correspondant à la moitié de l’actif net de l’indivision, avec des modalités de paiement échelonné. Ce document prévoyait que l’engagement serait formalisé devant notaire « avec demande de désolidarisation du prêt et accord de la banque ».

L’indivisaire débiteur n’ayant pas obtenu de prêt bancaire pour payer la soulte, il a contesté la validité de cet accord. Le juge aux affaires familiales a ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage en retenant cet accord comme base de la liquidation. L’indivisaire a interjeté appel, soutenant que l’accord bancaire constituait une condition suspensive non réalisée et que le document était trop imprécis pour fonder la liquidation.

La Cour d’appel de Pau devait déterminer si un accord sous seing privé entre concubins, prévoyant les modalités de règlement d’une soulte et mentionnant un accord bancaire à obtenir, peut constituer le fondement de la liquidation de leur indivision, alors même que le financement n’a pas été obtenu.

La cour a confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions. Elle a considéré que le document du 6 avril 2019 constituait un accord valable entre les parties sur le montant de la soulte. Elle a jugé que la mention relative à l’accord bancaire ne portait que sur la désolidarisation du prêt et les modalités de paiement, et non sur le principe même de l’accord. Elle a précisé qu’il « n’est aucunement prévu dans ledit document que celui-ci est conditionné au fait que [l’indivisaire] doit obtenir l’accord de la banque ».

Cette décision invite à examiner la qualification juridique de l’accord entre concubins et ses conditions de validité (I), avant d’analyser l’absence de caractère suspensif de l’obtention du financement (II).

I. La reconnaissance judiciaire de l’accord sous seing privé comme fondement du partage

La cour procède à une analyse rigoureuse de la validité formelle de l’accord litigieux (A), avant d’en déduire sa force obligatoire malgré les contestations tardives de l’appelant (B).

A. La validité formelle de l’accord malgré l’absence de convention d’indivision

Le premier juge avait pris soin de constater que le document du 6 avril 2019 « ne constitue pas une convention d’indivision puisqu’il ne répond pas aux critères exigés par les articles 1873-1 et suivants du code civil ». Cette précision juridique mérite attention. La convention d’indivision, régie par les articles 1873-1 à 1873-18 du code civil, obéit à un formalisme particulier et produit des effets spécifiques, notamment quant à la suspension du droit de provoquer le partage.

La cour ne requalifie pas le document litigieux. Elle le reconnaît pour ce qu’il est : un accord entre les parties sur les modalités de sortie de l’indivision. Le fondement juridique retenu repose sur les articles 1353, 1364 et 1367 du code civil relatifs à la preuve des obligations. La signature non contestée de l’appelant et l’absence de vice du consentement allégué suffisent à établir la validité de cet engagement.

Cette approche pragmatique permet de donner effet à la volonté des parties sans exiger le respect d’un formalisme inadapté. L’accord entre concubins sur la liquidation de leur indivision n’obéit en effet à aucune règle de forme particulière, contrairement au partage entre époux qui suppose l’homologation judiciaire prévue par l’article 268 du code civil.

B. L’opposabilité de l’accord malgré les contestations relatives à son contenu

L’appelant soulevait plusieurs griefs tenant à l’imprécision prétendue du document : absence de renseignement sur le bien à conserver, absence de mention des conditions de paiement du prêt. La cour écarte méthodiquement ces moyens en confrontant le document litigieux aux pièces du dossier, notamment les attestations notariales.

La cour relève que l’attestation du notaire du 3 juin 2019 permet de reconstituer le calcul de la somme de 71 000 euros : un actif de 261 000 euros, un passif de 119 000 euros, soit un actif net de 142 000 euros à partager par moitié. Elle souligne que l’appelant « est malvenu à contester désormais » la valeur retenue alors qu’il a lui-même reconnu devoir cette somme, nécessairement calculée sur cette base.

S’agissant de la consistance des biens, la cour observe que tant l’attestation notariale que le courrier du 15 avril 2019 mentionnaient clairement que l’un conserverait la maison tandis que le terrain serait vendu. L’appelant « a donc nécessairement eu connaissance de ce que comportait le bien à conserver ». Cette motivation illustre l’application du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui.

II. Le rejet de la qualification de condition suspensive attachée à l’accord bancaire

La cour procède à une interprétation stricte des termes de l’accord pour écarter la qualification de condition suspensive (A), avant de tirer les conséquences de cette analyse sur l’exécution du partage (B).

A. L’interprétation stricte de la clause relative à l’accord bancaire

L’appelant soutenait que l’accord bancaire mentionné dans le document constituait une condition suspensive au sens de l’article 1304 du code civil, dont la défaillance emportait caducité de l’engagement. La cour rejette cette analyse par une interprétation littérale du document.

Le document prévoyait que « cet engagement sera formulé par la notaire […] dans des conditions légales de mise en place de l’acte avec demande de désolidarisation du prêt et accord la banque ». La cour distingue soigneusement l’objet de l’accord bancaire. Elle juge que « cet accord de la banque ne porte pas sur les modalités de paiement prévues mais sur la désolidarisation du prêt ». La désolidarisation d’un emprunt indivis constitue une opération distincte du financement de la soulte.

La cour ajoute qu’« il n’est aucunement prévu dans ledit document que celui-ci est conditionné au fait que [l’indivisaire] doit obtenir l’accord de la banque quant aux modalités de paiement ». Elle relève également que le document ne mentionne pas la demande de rallonge du prêt ultérieurement sollicitée par l’appelant. Cette interprétation stricte se justifie par le principe selon lequel les conditions suspensives, qui affectent l’existence même de l’obligation, doivent être expressément stipulées.

B. Les conséquences sur l’exécution du partage

Le rejet de la qualification de condition suspensive produit des effets importants. L’accord du 6 avril 2019 demeure le fondement de la liquidation, indépendamment des difficultés de financement rencontrées par le débiteur de la soulte. La cour observe que « peu importe que [l’appelant] soit aujourd’hui dans l’incapacité de s’acquitter de la soulte qu’il reconnait devoir ».

Cette solution peut sembler rigoureuse mais elle respecte la force obligatoire des conventions. L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. L’impossibilité d’exécuter une obligation de somme d’argent ne constitue pas un cas de force majeure au sens de l’article 1218 du code civil, sauf circonstances exceptionnelles non caractérisées en l’espèce.

La cour note que l’intimée, qui avait initialement sollicité la licitation de l’immeuble, demande désormais confirmation du jugement l’ayant déboutée de cette demande. Cette position procédurale témoigne peut-être d’une volonté de permettre au débiteur de trouver une solution de financement. Le notaire désigné pour les opérations de liquidation devra établir le compte entre les parties, incluant l’indemnité d’occupation due par l’occupant depuis le 1er avril 2019, ce qui pourrait modifier l’équilibre final du partage.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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