Cour d’appel de Poitiers, le 1 juillet 2025, n°24/02953

Par un arrêt du 1er juillet 2025, la cour d’appel de Poitiers statue sur la validité d’une saisie-attribution pratiquée par un groupement de maîtrise d’œuvre et son assureur à l’encontre de l’assureur d’un sous-traitant, en l’absence de titre exécutoire direct à son encontre.

Les faits remontent à des travaux de construction réalisés entre 2004 et 2006. Un groupement conjoint de maîtrise d’œuvre, composé d’une société d’architecture et d’un bureau d’études techniques, tous deux assurés par une mutuelle d’assurance, intervenait sur le chantier. Un artisan carreleur, assuré par une autre compagnie d’assurances, avait été sous-traité pour la pose des revêtements de sol. Des désordres affectant les carrelages ont été constatés postérieurement à la livraison.

Par jugement du 26 novembre 2018, rectifié le 27 mai 2019, le tribunal de grande instance de Paris a condamné in solidum plusieurs intervenants à indemniser le maître de l’ouvrage et à garantir l’assureur dommages-ouvrage. Le tribunal a précisé que dans les rapports entre coobligés, le sous-traitant supporterait 80 % de la responsabilité, les maîtres d’œuvre n’en supportant que 20 %. Toutefois, aucune condamnation directe n’a été prononcée à l’encontre de l’assureur du sous-traitant au profit des maîtres d’œuvre ou de leur assureur.

L’assureur des maîtres d’œuvre, contraint par l’assureur dommages-ouvrage de régler l’intégralité des sommes dues, a pratiqué une saisie-attribution sur les comptes de l’assureur du sous-traitant pour obtenir le remboursement de la part correspondant aux 80 % de responsabilité. Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Niort a ordonné la mainlevée de cette saisie par jugement du 4 novembre 2024. La cour d’appel confirme cette décision.

La question posée à la cour était la suivante : un jugement se bornant à fixer les parts contributives entre coobligés, sans prononcer de condamnation directe au profit du créancier saisissant contre le tiers saisi, peut-il constituer le titre exécutoire nécessaire à la pratique d’une saisie-attribution ?

La cour répond par la négative. Elle juge que « le titre exécutoire de nature à justifier les poursuites doit nécessairement être exécutoire à l’encontre d’une personne déterminée dont l’identité résulte du titre lui-même » et qu’« il ne peut pas être admis que l’exécution puisse être poursuivie contre une personne différente de celle visée dans le titre exécutoire ». Elle écarte également l’argument tiré de la subrogation légale, le sous-traitant n’ayant pas été condamné à payer la somme réclamée.

L’exigence d’un titre exécutoire identifiant précisément le débiteur constitue le fondement de la décision (I), tandis que l’impossibilité d’invoquer la subrogation légale en l’absence de condamnation directe en révèle les conséquences (II).

I. L’exigence d’un titre exécutoire nominatif comme condition de validité de la saisie-attribution

L’arrêt rappelle avec fermeté le principe selon lequel l’exécution forcée suppose un titre exécutoire visant personnellement le débiteur (A), ce qui conduit à distinguer nettement la répartition des responsabilités de la condamnation exécutoire (B).

A. Le rappel du principe d’identité entre le titre et le débiteur poursuivi

La cour d’appel de Poitiers fonde son raisonnement sur les articles L. 111-2 et L. 211-1 du code des procédures civiles d’exécution. Elle rappelle qu’un « créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur ». La juridiction précise toutefois qu’il convient d’« écarter toute confusion entre le droit dont un créancier peut se prévaloir et le caractère exécutoire du titre qui constate l’existence d’une dette à la charge d’une personne déterminée ».

Cette distinction revêt une importance capitale en matière de voies d’exécution. Le droit substantiel, fût-il incontestable, ne suffit pas à permettre l’exécution forcée. Seul un titre exécutoire, c’est-à-dire une décision de justice ou un acte revêtu de la force exécutoire, permet de contraindre un débiteur au paiement. La cour s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation qui énonce que « toute exécution forcée implique que le créancier soit muni d’un titre exécutoire à l’égard de la personne même qui doit subir exécution » (Cass. 2e civ., 15 janvier 2004, n° 02-14.547).

La saisie-attribution, mesure d’exécution particulièrement efficace puisqu’elle opère attribution immédiate de la créance au profit du saisissant, suppose une rigueur particulière quant à l’identification du débiteur. La cour souligne qu’« il est donc nécessaire que le titre exécutoire identifie la personne à qui revient la charge de son exécution ».

B. La distinction entre répartition contributive et condamnation exécutoire

L’arrêt met en lumière une distinction fondamentale entre deux éléments du jugement servant de fondement aux poursuites. D’une part, le tribunal avait prononcé des condamnations in solidum au profit du maître de l’ouvrage et de l’assureur dommages-ouvrage. D’autre part, il avait fixé les parts contributives entre coobligés, précisant que le sous-traitant supporterait 80 % de la charge définitive de la dette.

La cour relève que « dans leur dispositif, ces jugements ne contiennent aucune condamnation de la MAAF au profit de la MAF, de la société Colorado ou de la société BET mais se contentent de dire que dans les rapports entre co-obligés, M. [Z] [P], qui sera tenu à 80 % dans le partage de responsabilité, est garanti par la MAAF Assurances ». Cette formulation, si elle permet de déterminer la contribution finale à la dette, ne constitue pas un titre exécutoire au sens des dispositions du code des procédures civiles d’exécution.

La mention selon laquelle un débiteur est « garanti » par son assureur ne vaut pas condamnation de cet assureur. Elle se borne à constater l’existence d’une couverture assurantielle sans créer de titre exécutoire au profit des tiers. La cour rappelle à cet égard que « la contribution à la dette entre coobligés invoquée par les appelantes ne peut être retenue pour valider la saisie attribution alors que celle-ci ne peut être valable que si elle est fondée sur un titre exécutoire qui identifie la personne à qui revient la charge de son exécution ».

II. Le rejet de la subrogation légale comme fondement alternatif de la saisie

La cour écarte successivement les deux fondements invoqués par les saisissants pour justifier leur mesure d’exécution : la contribution à la dette entre coobligés (A) et la subrogation dans les droits du créancier initial (B).

A. L’inopérance de la contribution à la dette en matière d’exécution forcée

Les appelantes invoquaient les dispositions de l’article 1317 du code civil relatives à la contribution à la dette entre codébiteurs solidaires. Selon ce mécanisme, celui qui a payé plus que sa part dispose d’un recours contre ses coobligés pour obtenir remboursement de l’excédent. Les maîtres d’œuvre et leur assureur, ayant réglé l’intégralité de la dette alors qu’ils n’en supportaient que 20 % selon le jugement, prétendaient pouvoir recouvrer les 80 % restants auprès de l’assureur du sous-traitant.

Cependant, la cour distingue le droit au recours de son caractère exécutoire. Le jugement de 2018 n’avait pas condamné l’assureur du sous-traitant à verser quelque somme que ce soit aux maîtres d’œuvre. Il s’était borné à fixer les proportions dans lesquelles chaque intervenant devait contribuer à la dette commune. Cette répartition, si elle fonde un droit substantiel au recours, ne constitue pas pour autant un titre exécutoire permettant d’en poursuivre directement l’exécution.

Pour obtenir un titre exécutoire, les saisissants auraient dû soit solliciter une condamnation directe lors de l’instance initiale, soit introduire une nouvelle action en paiement contre l’assureur du sous-traitant. La voie de l’exécution forcée leur demeurait fermée en l’état des décisions rendues.

B. L’absence de subrogation faute de condamnation du débiteur initial

Les appelantes invoquaient subsidiairement la subrogation légale prévue à l’article 1346 du code civil. Ayant payé la dette à la place du sous-traitant, elles prétendaient être subrogées dans les droits de l’assureur dommages-ouvrage et pouvoir ainsi poursuivre l’exécution contre l’assureur du sous-traitant.

La cour rejette cet argument par une motivation dénuée d’ambiguïté : « le tribunal n’a pas condamné M. [Z] [P], garanti par la MAAF Assurances, à payer la somme due au titre des désordres relatifs aux carrelages et ce, y compris dans son jugement rectificatif, en se contentant de dire qu’elle était sa part dans le partage des responsabilités ». Dès lors, « la société MAF et ses assurées ne pouvaient bénéficier de la subrogation légale sur la base des jugements du tribunal de grande instance de Paris ».

Cette solution s’explique par la nature même de la subrogation. Le subrogé ne peut acquérir plus de droits que n’en détenait le subrogeant. Or, l’assureur dommages-ouvrage ne disposait pas lui-même d’un titre exécutoire contre l’assureur du sous-traitant. Le jugement ne condamnait ce dernier qu’à garantir d’autres parties, non à indemniser l’assureur dommages-ouvrage. La subrogation ne pouvait donc transférer aux maîtres d’œuvre un titre exécutoire qui n’existait pas.

La portée de cet arrêt réside dans le rappel de la rigueur qui préside aux voies d’exécution. La légitimité d’une créance ne dispense pas son titulaire d’obtenir un titre exécutoire en bonne et due forme. Cette exigence protège les tiers contre des mesures d’exécution fondées sur une interprétation extensive des décisions de justice. Elle impose également aux praticiens une vigilance particulière lors de la rédaction des demandes et conclusions, afin de solliciter expressément les condamnations nécessaires à l’exercice ultérieur des recours.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture