Cour d’appel de Rennes, le 3 juillet 2025, n°24/01323

La garantie décennale, issue de l’article 1792 du Code civil, constitue un pilier fondamental du droit de la construction. Elle impose au constructeur de répondre des dommages compromettant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination pendant une durée de dix années suivant la réception des travaux. Par un arrêt rendu le 3 juillet 2025, la Cour d’appel de Rennes a été amenée à préciser les contours de cette garantie dans le contexte particulier d’une vente immobilière portant sur un bien ayant fait l’objet de travaux d’autoconstruction.

En l’espèce, par acte authentique du 8 janvier 2016, deux particuliers ont acquis une maison d’habitation pour un prix de 122 000 euros. Les vendeurs avaient préalablement, entre 2007 et 2010, entrepris des travaux d’extension comprenant notamment un couloir, une cuisine, une chambre et une salle d’eau. Au mois d’octobre 2016, les acquéreurs ont constaté plusieurs désordres, dont un dégât des eaux dans le couloir de l’extension. Une expertise amiable a d’abord été diligentée, puis une expertise judiciaire ordonnée par ordonnance du 17 juin 2020, dont la mission a été ultérieurement étendue aux défauts électriques et d’isolation. L’expert judiciaire a déposé son rapport en l’état le 25 mai 2023, faute de versement d’une consignation complémentaire par les acquéreurs.

Par jugement du 28 novembre 2023, le Tribunal judiciaire de Quimper a condamné solidairement les vendeurs à payer aux acquéreurs diverses sommes au titre des travaux réparatoires, pour un montant total de 36 927,70 euros. Les acquéreurs ont interjeté appel le 7 mars 2024, sollicitant la condamnation des vendeurs au paiement de 131 200 euros correspondant au coût d’une démolition-reconstruction de l’ouvrage. Les vendeurs n’ont pas constitué avocat devant la cour.

La question posée à la Cour d’appel de Rennes était la suivante : lorsque des désordres de nature décennale affectent un ouvrage vendu par celui qui l’a lui-même édifié, la réparation intégrale du préjudice impose-t-elle nécessairement la démolition-reconstruction de cet ouvrage ?

La Cour d’appel de Rennes, par arrêt rendu par défaut le 3 juillet 2025, a confirmé le jugement de première instance en toutes ses dispositions. Elle a considéré qu’en l’état du dossier, il n’était pas établi que la démolition-reconstruction constituât la solution réparatoire la plus adaptée pour remédier aux désordres constatés.

I. La reconnaissance de la responsabilité décennale du vendeur-constructeur

A. L’extension de la garantie décennale au particulier maître d’ouvrage vendeur

La Cour d’appel de Rennes rappelle un principe désormais bien établi en droit de la construction : « le particulier qui vend un immeuble qu’il a lui-même édifié est redevable envers l’acquéreur de la garantie décennale ». Cette solution, consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation depuis un arrêt du 7 septembre 2011, étend le champ d’application de l’article 1792 du Code civil au-delà de son périmètre originel. Le texte vise en effet les constructeurs d’ouvrage, notion traditionnellement réservée aux professionnels du bâtiment.

Cette extension jurisprudentielle se justifie par la finalité protectrice de la garantie décennale. L’acquéreur d’un bien immobilier mérite une protection identique quel que soit le statut de celui qui a réalisé les travaux. Le caractère amateur de l’autoconstruction ne saurait priver l’acheteur d’une garantie destinée à couvrir les vices les plus graves affectant l’ouvrage. La cour précise utilement que « le point de départ de la garantie est la date à laquelle l’ouvrage a été réceptionné et non pas à celle de la vente », ce qui permet de vérifier que le délai décennal n’est pas expiré.

B. La caractérisation des désordres de nature décennale dans le contexte de l’autoconstruction

L’arrêt commenté illustre la méthode d’appréciation des désordres susceptibles d’engager la responsabilité décennale. La cour relève minutieusement l’ensemble des désordres constatés par l’expert judiciaire : infiltrations en périphérie du mur de soubassement, entrées d’eau par divers points, déformations de cloisons, difficultés de fermeture des menuiseries, anomalies électriques multiples. Cette énumération exhaustive n’est pas un exercice de style. Elle permet à la juridiction d’apprécier globalement la gravité des désordres.

La qualification juridique retenue par la cour est sans ambiguïté : « au regard des nombreuses infiltrations affectant le clos et le couvert des deux extensions et de la dangerosité de l’installation électrique susceptible de provoquer des risques d’incendie, ces désordres les rendent incontestablement impropres à leur destination ». Le critère de l’impropriété à destination, alternative au critère de l’atteinte à la solidité, est ici caractérisé par la convergence de désordres multiples. La responsabilité décennale des vendeurs-constructeurs est donc engagée sans contestation possible.

II. L’appréciation souveraine des modalités de réparation du préjudice

A. Le rejet de la démolition-reconstruction comme mode de réparation

Les appelants sollicitaient la somme de 131 200 euros correspondant au coût d’une démolition-reconstruction complète de l’ouvrage. Cette prétention se heurtait à un obstacle procédural majeur : l’expertise judiciaire n’avait pu être menée à son terme « du fait de l’absence du versement d’une nouvelle consignation » de la part des demandeurs. L’expert avait certes « précisément listé les travaux de reprise nécessaires pour remédier aux désordres », mais n’avait pas « formellement envisagé la déconstruction-reconstruction de l’ouvrage ».

La cour fait application d’un principe fondamental du droit de la preuve : « en l’état, il n’est pas établi que la démolition-reconstruction des deux extensions constitue la solution réparatoire la plus adaptée pour remédier aux désordres ». Les appelants, qui réclamaient une réparation plus onéreuse que celle retenue par le premier juge, devaient démontrer l’insuffisance des travaux réparatoires ponctuels. Faute d’avoir alimenté l’expertise par le versement de la consignation complémentaire, ils se sont privés des éléments de preuve nécessaires à leur prétention.

B. La validation du chiffrage des travaux réparatoires

La cour confirme le montant retenu par le tribunal, soit 36 927,70 euros, correspondant au chiffrage figurant dans le rapport d’expertise amiable. Cette somme n’avait pas été « contestée en son principe par l’expert judiciaire ». La solution retenue présente une cohérence certaine : dès lors que des travaux réparatoires permettent de remédier aux désordres sans nécessiter la destruction de l’ouvrage, le principe de réparation intégrale du préjudice n’impose pas d’allouer une somme supérieure.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle le choix entre réparation ponctuelle et reconstruction relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. La cour fait œuvre de réalisme économique en refusant d’imposer aux débiteurs une charge financière près de quatre fois supérieure à celle nécessaire pour remédier effectivement aux désordres. La condamnation des appelants aux dépens d’appel sanctionne logiquement l’échec de leur tentative d’obtenir une indemnisation majorée sans apporter les éléments de preuve permettant de la justifier.

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Hassan KOHEN
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