- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Le contentieux du travail dissimulé, au carrefour du droit pénal et du droit de la sécurité sociale, suscite un abondant contentieux portant sur les garanties procédurales offertes au cotisant. La Cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 10 juillet 2025, apporte d’utiles précisions sur la régularité des opérations de redressement consécutives à un constat d’infraction transmis par les services de police.
Un entrepreneur individuel était contrôlé le 12 novembre 2019 sur le chantier d’un pavillon. Les enquêteurs de police y relevaient la présence d’un travailleur étranger en situation irrégulière et sans autorisation de travail. Un procès-verbal constatant le délit de travail dissimulé était dressé le 26 février 2020. L’organisme de recouvrement adressait ensuite une lettre d’observations le 23 septembre 2021, annonçant un redressement de cotisations et contributions sociales assorti d’une majoration pour travail dissimulé. Le cotisant formait des observations, ce qui conduisait l’inspecteur à réduire les montants réclamés par courrier du 4 novembre 2021. Des mises en demeure étaient notifiées le 14 avril 2022, se substituant à de précédentes mises en demeure annulées. Le cotisant saisissait la commission de recours amiable, laquelle maintenait le redressement. Le pôle social du Tribunal judiciaire d’Agen, par jugement du 4 décembre 2023, validait les mises en demeure et condamnait l’intéressé au paiement des sommes réclamées.
L’appelant soulevait plusieurs moyens de nullité. Il arguait d’une discordance entre les montants figurant dans les mises en demeure et ceux mentionnés dans la lettre d’observations initiale. Il reprochait également à l’organisme de recouvrement de n’avoir pas motivé ses observations et de s’être borné à renvoyer à un procès-verbal de police non communiqué. Il faisait enfin valoir l’absence de poursuites pénales engagées à son encontre.
La question posée à la Cour d’appel de Toulouse était double. D’une part, des mises en demeure peuvent-elles être validées lorsque leurs montants diffèrent de ceux initialement annoncés dans la lettre d’observations? D’autre part, une lettre d’observations établie sur le fondement d’un constat d’infraction transmis par les services de police satisfait-elle aux exigences de motivation prescrites par le code de la sécurité sociale?
La Cour d’appel de Toulouse confirme pour l’essentiel le jugement entrepris. Elle juge les mises en demeure régulières dès lors qu’elles indiquent le motif du redressement par renvoi à la lettre d’observations, détaillent les périodes concernées et les montants réclamés, et intègrent expressément les modifications résultant des échanges avec l’inspecteur. Elle valide également la lettre d’observations, relevant que l’organisme de recouvrement a « rapporté l’ensemble des diligences menées, des échanges réalisés et caractérisé les manquements ». La circonstance que des officiers et agents de police judiciaire aient procédé à des investigations « n’est pas de nature à priver la lettre d’observations de sa régularité ». La Cour réduit toutefois le montant des majorations, substituant le taux de 25 pour cent à celui de 40 pour cent initialement appliqué.
L’arrêt présente un double intérêt. Il précise les conditions dans lesquelles les mises en demeure peuvent valablement intégrer des modifications postérieures à la lettre d’observations (I). Il clarifie également les exigences de motivation applicables aux lettres d’observations fondées sur un constat d’infraction transmis par des agents extérieurs à l’organisme de recouvrement (II).
I. La validité des mises en demeure intégrant des modifications ultérieures
L’article R. 244-1 du code de la sécurité sociale impose que la mise en demeure précise « la cause, la nature et le montant des sommes réclamées ». Cette exigence vise à permettre au cotisant de connaître exactement l’étendue de sa dette et d’exercer utilement ses droits de contestation. La question se posait de savoir si des mises en demeure pouvaient être validées lorsque leurs montants différaient de ceux annoncés dans la lettre d’observations initiale (A). La Cour répond par l’affirmative, sous réserve que les modifications soient expressément mentionnées et expliquées (B).
A. L’exigence d’information du cotisant sur l’étendue de sa dette
Le cotisant contestait la régularité des mises en demeure au motif que les sommes réclamées différaient de celles figurant dans la lettre d’observations du 23 septembre 2021. Cette argumentation reposait sur une conception stricte de la correspondance devant exister entre les deux documents. La mise en demeure, en tant qu’acte préalable aux poursuites, devrait selon cette thèse reproduire fidèlement les montants précédemment notifiés.
La Cour écarte cette analyse. Elle relève que chaque mise en demeure « indique en son sein le motif de la mise en demeure et par renvoi précis à la lettre d’observations ». Le document comporte « dans le détail, l’indication des périodes concernées » ainsi que « le montant des cotisations pour chacune des périodes visées ». Le cotisant disposait ainsi de l’ensemble des informations lui permettant de comprendre la composition de sa dette.
B. La prise en compte des modifications résultant du contradictoire
La Cour souligne que les mises en demeure « ont intégré, en le précisant expressément, la modification des montants à la suite du dernier échange avec l’agent en charge du contrôle en date du 04/11/2021 ». Cette mention explicite du fondement des modifications garantit la transparence du processus de redressement. Le cotisant peut ainsi vérifier que les nouveaux montants correspondent aux observations qu’il avait formulées.
Cette solution s’inscrit dans la logique du principe du contradictoire qui gouverne la procédure de redressement. La lettre d’observations ouvre un délai permettant au cotisant de faire valoir ses arguments. Lorsque ces observations conduisent l’inspecteur à modifier son appréciation, les mises en demeure doivent nécessairement refléter cette évolution. Exiger une stricte identité entre les montants initiaux et les montants définitifs reviendrait à priver d’effet le mécanisme d’échange prévu par les textes.
L’exigence d’information du cotisant se trouve ainsi satisfaite par la mention expresse des modifications et de leur origine. Le cotisant « a pu, sans ambiguïté, connaître la cause, la nature et le montant de l’ensemble des sommes qui lui étaient réclamées ».
II. La motivation des lettres d’observations fondées sur un constat d’infraction externe
L’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale impose que les observations soient « motivées par chef de redressement » et comprennent « les considérations de droit et de fait qui constituent leur fondement ». Lorsque le constat d’infraction émane d’agents extérieurs à l’organisme de recouvrement, la question se pose de savoir si le renvoi à ce constat suffit à satisfaire l’exigence de motivation (A). La Cour apporte une réponse nuancée, admettant la combinaison des sources tout en vérifiant l’autonomie de l’appréciation de l’organisme (B).
A. L’articulation entre constat externe et diligences propres de l’organisme
Le cotisant reprochait à l’organisme de recouvrement de s’être contenté de renvoyer au procès-verbal de police sans motiver ses propres observations. Il soulignait que ce document ne lui avait pas été communiqué et que l’absence de poursuites pénales démontrait l’insuffisance des éléments recueillis.
La Cour relève que l’article R. 243-59 prévoit expressément l’hypothèse dans laquelle « le constat d’infraction de travail dissimulé a été transmis en application des dispositions de l’article L. 8271-6-4 du code du travail ». Le texte impose alors que la lettre d’observations mentionne « la référence au document mentionné à l’article R. 133-1 ainsi que les faits constatés par les agents de contrôle ». Le renvoi à un constat externe est donc légalement admis, sous réserve que les faits pertinents soient repris dans la lettre d’observations.
La Cour vérifie que l’organisme de recouvrement ne s’est pas borné à un renvoi formel. Elle constate qu’« au-delà du renvoi explicite aux constatations faites par les enquêteurs de police, l'[organisme] a rapporté l’ensemble des diligences menées, des échanges réalisés et caractérisé les manquements ». L’inspecteur a procédé à une « comparaison des déclarations sociales et des données bancaires mettant en évidence une minoration de la déclaration d’activité ».
B. L’indifférence de l’issue des poursuites pénales
Le cotisant arguait de l’absence de poursuites pénales pour contester la réalité de l’infraction. La Cour écarte cet argument en relevant que « le fait que, parallèlement, des officiers et agents de police judiciaire, également compétents en vertu de l’article L. 8271-1-2 du code du travail, aient procédé à des investigations qui ont enrichi les travaux de l'[organisme] n’est pas de nature à priver la lettre d’observations de sa régularité ». Elle ajoute qu’« il importe peu à cet égard que des poursuites pénales aient, ou non, été engagées ».
Cette solution consacre l’autonomie du redressement de cotisations sociales par rapport à l’action pénale. Les deux procédures obéissent à des logiques distinctes. Le ministère public apprécie l’opportunité des poursuites en fonction de critères qui lui sont propres. L’organisme de recouvrement agit quant à lui dans l’intérêt de la protection sociale et dispose d’une base légale spécifique pour procéder au redressement. L’absence de condamnation pénale ne fait pas obstacle à la constatation de l’infraction aux fins de recouvrement des cotisations éludées.
La Cour valide enfin la signature de la lettre d’observations par la seule inspectrice ayant réalisé le redressement. Elle relève que le second inspecteur n’était présent lors du contrôle sur site que « pour des raisons de sécurité » et qu’aucun élément « n’établit ou ne laisse supposer qu’il a participé aux actes du redressement ». L’exigence de signature ne s’impose qu’à l’agent auteur des observations, non à ceux dont l’intervention s’est limitée à un rôle accessoire.