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Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse le 10 juillet 2025 statue sur une question procédurale essentielle en matière de prescription des actions subrogatoires en droit de la construction. Cette décision vient préciser les effets de la caducité d’une mesure d’expertise judiciaire sur l’interruption des délais de forclusion.
Un contrat de construction de maison individuelle a été conclu le 11 décembre 2004 entre un particulier et un constructeur. Les travaux de terrassement et gros œuvre ont été confiés à un sous-traitant, lui-même assuré auprès d’un assureur de responsabilité. La réception des travaux est intervenue le 23 avril 2007. Le 20 février 2017, le maître de l’ouvrage a déclaré des désordres consistant en des fissures à son assureur dommages-ouvrage. Une expertise a été ordonnée par ordonnance de référé du 30 mai 2017. L’assureur dommages-ouvrage a versé la somme de 19 686,25 euros au maître de l’ouvrage selon quittance subrogative du 20 novembre 2017.
Par acte du 2 août 2023, l’assureur dommages-ouvrage a fait assigner le sous-traitant et son assureur devant le tribunal judiciaire de Foix aux fins d’obtenir remboursement des sommes versées. Les défendeurs ont soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action. Ils soutenaient que la caducité de la mesure d’expertise, prononcée pour défaut de consignation, devait « rétroagir » sur l’assignation en référé et la priver de son effet interruptif. Par ordonnance du 1er octobre 2024, le juge de la mise en état a rejeté cette fin de non-recevoir. Les défendeurs ont interjeté appel.
Les appelants invoquaient principalement que l’inaction de l’assureur dans le cadre de l’expertise judiciaire devait s’analyser comme un désistement d’instance. Ils arguaient que la caducité de la désignation de l’expert devait priver l’assignation de son effet interruptif dès lors que l’expertise était inhérente à l’action en justice. L’intimée répondait que la caducité n’atteignait que la mesure d’expertise ordonnée et était insuffisante pour priver l’assignation de son effet interruptif.
La question posée à la Cour d’appel de Toulouse était la suivante : la caducité d’une mesure d’expertise judiciaire, prononcée pour défaut de consignation, prive-t-elle l’assignation introductive d’instance de son effet interruptif du délai de forclusion décennale prévu à l’article 1792-4-2 du Code civil ?
La cour confirme la décision déférée en considérant que « la caducité d’une désignation d’expert pour absence de consignation, qui n’atteint que la mesure d’expertise ordonnée, ne peut priver l’assignation introductive d’instance de son effet interruptif du délai de prescription ».
I. L’autonomie de l’effet interruptif de l’assignation en référé
A. Le maintien de l’effet interruptif malgré la caducité de l’expertise
La cour fonde son raisonnement sur les articles 2241 et 2242 du Code civil. Elle rappelle que « la demande en justice, même en référé, interrompt la prescription et la forclusion jusqu’à l’extinction de l’instance ». Cette règle constitue le socle du régime de l’interruption de la prescription en droit français.
La cour opère une distinction nette entre deux éléments : l’assignation introductive d’instance d’une part, la mesure d’instruction ordonnée d’autre part. La caducité « n’atteint que la mesure d’expertise ordonnée » sans affecter l’acte introductif d’instance lui-même. Cette analyse consacre l’autonomie procédurale de l’assignation par rapport aux suites qui lui sont données.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse de faire dépendre l’effet interruptif de l’assignation du sort ultérieur de la procédure. L’acte introductif d’instance produit ses effets dès sa délivrance. Les vicissitudes processuelles postérieures ne peuvent remettre en cause cette interruption déjà acquise.
B. Le rejet de l’argument de la rétroactivité de la caducité
Les appelants soutenaient que la caducité devait « rétroagir sur » l’assignation en référé. La cour écarte cette argumentation sans équivoque. Elle refuse d’étendre les effets de la caducité au-delà de la seule mesure d’expertise.
L’argument selon lequel l’expertise était « inhérente » à l’action en justice ne convainc pas la cour. La finalité poursuivie par le demandeur lors de l’introduction de l’instance est indifférente à la qualification de l’effet interruptif. L’assignation en référé-expertise constitue bien une demande en justice au sens de l’article 2241 du Code civil.
La cour refuse également d’analyser l’absence de consignation comme un désistement d’instance. Le désistement suppose une manifestation de volonté expresse ou des actes positifs incompatibles avec la poursuite de l’instance. La simple inaction ne saurait être assimilée à une renonciation aux effets déjà produits par l’assignation.
II. Les conséquences pratiques sur le régime de la forclusion décennale
A. Le calcul du nouveau délai de forclusion
La cour applique l’article 2231 du Code civil selon lequel l’interruption fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien. Elle précise que « l’assignation en référé du 21 avril 2017 a parfaitement interrompu le délai de forclusion qui a produit ses effets jusqu’à l’ordonnance du 30 mai 2017 ».
Un nouveau délai de dix ans a donc commencé à courir à compter de l’ordonnance de référé. La cour fixe le terme de ce délai au 30 mai 2027. L’assignation du 2 août 2023 a été délivrée dans ce délai. L’action subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage est donc recevable.
Cette solution offre une sécurité juridique appréciable aux assureurs dommages-ouvrage exerçant leur recours subrogatoire. Elle leur permet de bénéficier d’un délai substantiel pour agir contre les responsables après le versement de l’indemnité d’assurance.
B. La portée de la décision pour les actions subrogatoires
La cour vise expressément l’article L. 121-12 du Code des assurances relatif à la subrogation de l’assureur. Elle rappelle que l’assureur qui a payé « est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers ».
L’assureur dommages-ouvrage dispose ainsi des mêmes prérogatives que le maître de l’ouvrage pour interrompre les délais de forclusion. Une assignation en référé-expertise, même suivie d’une caducité pour défaut de consignation, préserve pleinement ses droits.
Cette décision présente un intérêt pratique considérable dans le contentieux de la construction. Les assureurs dommages-ouvrage pourront désormais agir avec davantage de sérénité, sachant qu’une première action en référé leur garantit le bénéfice de l’interruption. La cour confirme que le droit processuel ne doit pas être détourné pour créer des fins de non-recevoir artificielles au détriment des créanciers diligents.