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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 11 septembre 2025 porte sur l’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation et soulève une question centrale relative à la preuve de l’existence du contrat d’assurance au moment du sinistre. Un motocycliste a été grièvement blessé le 7 juin 2017 lors d’une collision impliquant un véhicule dont le conducteur prétendait être assuré auprès d’une compagnie d’assurance. Cette dernière a soulevé une exception de non-garantie au motif que le contrat aurait été souscrit postérieurement à l’accident.
Les faits se présentent ainsi : le conducteur du véhicule impliqué a téléphoné à la compagnie d’assurance le jour même de l’accident pour souscrire un contrat. L’attestation d’assurance provisoire mentionne une prise d’effet à 12h38. Les sapeurs-pompiers ont été appelés à 12h31 et les services de police ont été avisés à 12h37. Le conducteur responsable a ultérieurement été condamné pénalement pour blessures involontaires.
La victime a assigné le conducteur et l’assureur devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d’obtenir réparation de son préjudice corporel. Par jugement du 19 mai 2022, le tribunal a rejeté l’exception de garantie soulevée par l’assureur et l’a condamné in solidum avec le conducteur responsable à indemniser la victime. L’assureur a interjeté appel de cette décision.
La question posée à la cour était double : d’une part, le contrat d’assurance était-il effectivement en vigueur au moment de l’accident ? D’autre part, en cas de mise hors de cause de l’assureur, quelles conséquences en tirer pour l’indemnisation de la victime ?
La cour infirme le jugement de première instance sur l’exception de garantie. Elle retient que la comparaison des éléments temporels objectifs démontre que le conducteur a appelé l’assureur après la survenance de l’accident. En conséquence, elle met l’assureur hors de cause et fait peser l’obligation d’indemnisation sur le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages.
La solution retenue par la Cour d’appel de Versailles mérite un examen approfondi tant sur la question de la preuve de l’antériorité du contrat d’assurance au sinistre (I) que sur les conséquences de la mise hors de cause de l’assureur pour l’indemnisation de la victime (II).
I. La détermination de l’existence du contrat d’assurance au moment du sinistre
L’appréciation de l’existence du contrat d’assurance au moment de l’accident repose sur l’application des règles relatives à la formation du contrat d’assurance (A), dont la mise en œuvre en l’espèce conduit à une solution rigoureuse fondée sur des éléments de preuve objectifs (B).
A. Le rappel des principes gouvernant la formation du contrat d’assurance
La cour rappelle que « le contrat d’assurance est un contrat consensuel qui prend effet à la date et à l’heure de la rencontre des volontés ». Cette affirmation s’inscrit dans la droite ligne des principes civilistes applicables aux contrats consensuels. Le contrat d’assurance automobile ne déroge pas à ce principe général : il se forme par le seul échange des consentements, sans qu’aucune formalité soit exigée ad validitatem.
La juridiction d’appel précise toutefois que l’assureur doit, « non pas pour la validité du contrat mais seulement pour sa preuve, établir une police d’assurance automobile datée du jour où elle est établie et indiquant le moment à partir duquel le risque est garanti et la durée de cette garantie ». Cette distinction entre conditions de validité et conditions de preuve est fondamentale. L’article L. 112-4 du code des assurances impose certes la rédaction d’un écrit, mais celui-ci n’a qu’une valeur probatoire.
L’exception de non-garantie soulevée par l’assureur est opposable tant à la victime qu’au Fonds de garantie. La cour le rappelle expressément en visant l’article R. 421-4 du code des assurances selon lequel « le fonds de garantie ne peut être appelé à payer l’indemnité allouée à la victime ou à ses ayants droit qu’en cas de suspension du contrat ou de non-assurance ou d’assurance partielle, opposables à la victime ou à ses ayants droit ». L’inexistence du contrat au moment du sinistre constitue bien un cas de non-assurance au sens de ce texte.
B. L’appréciation souveraine des éléments de preuve par les juges du fond
La cour procède à une analyse minutieuse des éléments temporels versés aux débats. Deux sources objectives permettent de déterminer l’heure de l’accident : les enregistrements des sapeurs-pompiers et ceux des services de police. Les pompiers ont été appelés à 12h31, les policiers ont été avisés à 12h37. Or, le conducteur n’a téléphoné à l’assureur qu’à 12h33 et le contrat n’a pris effet qu’à 12h38.
La juridiction relève que « l’accident s’est donc produit fatalement avant 12H31 » puisque les secours ont été appelés à cette heure. Cette déduction logique est imparable : on ne peut appeler les pompiers avant qu’un accident ne survienne. La cour ajoute que « les policiers ont donc été appelés juste après les pompiers ce qui, au vu de graves blessures de [la victime] tombé de sa moto, se comprend aisément ».
Face à ces éléments objectifs, les déclarations du conducteur responsable selon lesquelles l’accident se serait produit à 12h55 ne résistent pas à l’analyse. La cour observe que ces déclarations « ne sont pas de nature à renverser la conclusion selon laquelle il a tenté de s’assurer après avoir heurté la moto » de la victime. Elle relève en outre que « la précédente assurance de [ce conducteur] avait été résiliée huit mois avant le 7 juin 2017 », ce qui explique sa tentative de régularisation précipitée.
La rigueur de l’analyse probatoire traduit l’attention particulière que portent les juridictions aux tentatives de fraude à l’assurance. Le caractère consensuel du contrat d’assurance ne saurait servir de paravent à des manœuvres visant à obtenir une garantie rétroactive.
II. Les conséquences de la mise hors de cause de l’assureur sur l’indemnisation de la victime
La mise hors de cause de l’assureur emporte des conséquences importantes tant sur l’identification du débiteur de l’indemnisation (A) que sur les règles d’imputation des créances des tiers payeurs (B).
A. Le transfert de l’obligation d’indemnisation au Fonds de garantie
La cour rappelle le caractère subsidiaire de l’intervention du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages. En application de l’article L. 421-1, III, du code des assurances, « le FGAO paie les indemnités dues aux victimes ou leurs ayants droit qui ne peuvent être prises en charge à aucun autre titre lorsque l’accident ouvre droit à réparation ». La condition de non-assurance étant remplie, le Fonds devient le débiteur de l’indemnisation.
La juridiction d’appel précise toutefois une limite importante : « c’est sur le FGAO que pèsera l’indemnisation de [la victime] pour l’indemnisation de ses seuls préjudices, à l’exclusion des créances éventuelles d’un tiers payeur qui relève du seul auteur civilement responsable ». Cette distinction est essentielle. Le Fonds n’intervient que pour garantir l’indemnisation de la victime, non pour se substituer à l’auteur responsable dans ses obligations envers les organismes sociaux.
La cour statue également sur le sort des provisions versées par l’assureur « pour le compte de qui il appartiendra » en exécution d’une ordonnance de référé. Elle condamne le Fonds à rembourser ces sommes à l’assureur. Cette solution repose sur une jurisprudence constante selon laquelle « si le Fonds de garantie, en raison du caractère subsidiaire de son obligation, ne peut en règle générale faire l’objet d’une condamnation, il en va autrement dans le cas où l’assureur, condamné pour le compte de qui il appartiendra puis déclaré non tenu à garantie, demande à cet organisme […] le remboursement de la somme avancée à la victime pour le compte du Fonds ».
B. L’application des règles d’imputation des prestations sociales
L’arrêt comporte des développements significatifs sur l’imputation des prestations versées par la caisse primaire d’assurance maladie. L’accident ayant été reconnu comme accident du travail, la victime a perçu une rente servie sous forme de capital. La question se posait de savoir sur quels postes de préjudice cette rente devait s’imputer.
La cour fait application de la jurisprudence issue des arrêts d’assemblée plénière du 20 janvier 2023. Elle énonce que « depuis deux arrêts rendus le 20 janvier 2023 par la Cour de cassation, la rente versée par la caisse de sécurité sociale à une victime d’un accident du travail, ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ». Cette solution, qui constitue un revirement de jurisprudence majeur, permet à la victime de percevoir l’intégralité de l’indemnité réparant son déficit fonctionnel permanent sans imputation de la rente.
En revanche, la rente s’impute sur le poste d’incidence professionnelle. La cour relève que la créance de la caisse au titre de la rente accident du travail s’élève à 70 350,30 euros alors que l’incidence professionnelle est évaluée à 15 000 euros. Elle en déduit qu’« après imputation il ne reste donc rien à percevoir à la victime » au titre de ce poste. Le surplus de la créance de la caisse, soit 55 350,30 euros, demeure à la charge du responsable sans que la victime n’en supporte les conséquences.
L’arrêt confirme ainsi que le principe de réparation intégrale trouve à s’appliquer pleinement, la victime obtenant une indemnisation complète de ses préjudices malgré les aléas procéduraux liés à la contestation de garantie de l’assureur. Le Fonds de garantie remplit ainsi pleinement sa mission de protection des victimes d’accidents de la circulation.