Cour d’appel de Versailles, le 18 juin 2025, n°25/00885

La rectification d’erreur matérielle constitue un mécanisme procédural permettant de corriger les imperfections formelles affectant une décision de justice sans remettre en cause l’autorité de la chose jugée. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 18 juin 2025 illustre cette procédure dans un contentieux prud’homal relatif à un licenciement.

Un salarié avait été licencié pour faute grave par son employeur. Le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, par jugement du 14 décembre 2022, avait débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes, estimant le harcèlement moral non démontré et le licenciement fondé. Le salarié a interjeté appel le 1er février 2023. Par arrêt du 13 septembre 2023, la Cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement, déclarant nul le licenciement et condamnant l’employeur au paiement de diverses sommes. Le 26 mars 2025, le greffe a été informé par France Travail que l’adresse du salarié figurant au chapeau de l’arrêt était erronée, celle-ci ayant été mal communiquée par le conseil du salarié en décembre 2023.

Le salarié, appelant, sollicitait par le biais de son conseil la rectification de son adresse. L’employeur, intimé, n’a pas formulé d’observations.

La question posée à la cour était de déterminer si une erreur affectant l’adresse d’une partie dans le chapeau d’un arrêt constitue une erreur matérielle susceptible de rectification au sens de l’article 462 du Code de procédure civile.

La Cour d’appel de Versailles, se saisissant d’office, a rectifié l’erreur matérielle entachant son arrêt du 19 mars 2025 en substituant l’adresse exacte du salarié à celle erronément mentionnée, laissant les dépens à la charge du Trésor public.

Cet arrêt permet d’examiner le régime de la rectification d’erreur matérielle tant dans ses conditions de mise en oeuvre (I) que dans ses effets procéduraux (II).

I. Les conditions de mise en oeuvre de la rectification d’erreur matérielle

La procédure de rectification suppose la réunion de conditions tenant à la nature de l’erreur (A) et aux modalités de saisine du juge (B).

A. La caractérisation de l’erreur matérielle rectifiable

L’article 462 du Code de procédure civile dispose que « les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ». Cette disposition établit une distinction fondamentale entre l’erreur matérielle, susceptible de rectification, et l’erreur de jugement, qui relève des voies de recours ordinaires.

L’erreur matérielle se définit comme une inadvertance, une faute de plume ou une inexactitude qui ne procède pas d’une erreur intellectuelle du juge. Elle n’affecte pas le raisonnement juridique ni la solution retenue. En l’espèce, la cour relève qu’il s’agit d’une « erreur dans l’information donnée par le conseil du salarié en décembre 2023 concernant sa nouvelle adresse ». L’erreur provenait d’une confusion entre deux voies portant des noms similaires et d’un code postal ne correspondant pas à la commune indiquée.

La jurisprudence de la Cour de cassation encadre strictement le domaine de la rectification. Une erreur portant sur l’identité ou l’adresse d’une partie constitue une erreur purement matérielle dès lors qu’elle résulte d’une simple retranscription inexacte. Elle ne modifie en rien les droits et obligations des parties tels que fixés par la décision.

L’intérêt de qualifier l’erreur réside dans la préservation de l’autorité de la chose jugée. La rectification ne constitue pas une modification du jugement mais une simple correction formelle. La décision rectifiée et la décision rectificative forment un tout indissociable, la seconde venant compléter la première sans s’y substituer.

B. Les modalités de saisine du juge compétent

L’article 462 alinéa 2 du Code de procédure civile prévoit trois modes de saisine : « le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d’office ». Cette triple possibilité témoigne de la souplesse voulue par le législateur dans cette matière.

En l’espèce, la cour s’est saisie d’office après avoir été informée de l’erreur par France Travail. La saisine d’office se justifie par l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Une adresse erronée compromet l’exécution effective de la décision et peut nuire aux droits du créancier comme du débiteur. La cour a néanmoins respecté le principe du contradictoire en convoquant les parties à l’audience du 9 avril 2025.

L’alinéa 3 de l’article 462 précise que « le juge statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées ». Le respect du contradictoire demeure impératif même dans cette procédure simplifiée. Le conseil du salarié a produit des justificatifs de domicile récents. L’employeur, bien que régulièrement convoqué, n’a pas formulé d’observations, ce qui ne fait pas obstacle au prononcé de la décision.

La compétence appartient à la juridiction qui a rendu la décision entachée d’erreur. La Cour d’appel de Versailles était donc compétente pour rectifier son propre arrêt du 19 mars 2025. Cette règle de compétence exclusive garantit la cohérence de la décision et évite les contrariétés de jurisprudence.

II. Les effets de la décision rectificative

La rectification emporte des conséquences sur le plan formel quant à l’incorporation au jugement initial (A) et sur le plan financier quant à la charge des dépens (B).

A. L’incorporation de la rectification au jugement initial

L’article 462 alinéa 4 du Code de procédure civile prévoit que « la décision rectificative est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement ». Cette prescription formaliste assure l’unité de la décision de justice. La rectification ne constitue pas un jugement autonome mais un complément indissociable de la décision rectifiée.

La cour ordonne expressément que « la présente décision rectificative sera mentionnée sur la minute et les expéditions de l’arrêt rectifié et notifiée comme lui ». Cette formule reprend les termes de l’article 462. La mention sur la minute garantit l’authenticité de la correction. La mention sur les expéditions assure l’opposabilité aux tiers et permet l’exécution sur le fondement d’un titre exact.

La notification de la décision rectificative selon les mêmes modalités que le jugement initial répond à une exigence d’information des parties. Elle fait courir les délais de recours éventuels contre la décision rectificative elle-même. Celle-ci peut en effet faire l’objet d’un pourvoi en cassation si les conditions de la rectification n’étaient pas réunies.

L’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 13 septembre 2023, confirmé sur ce point par l’arrêt du 19 mars 2025, demeure intacte. La rectification n’affecte que l’élément matériel erroné sans remettre en cause les condamnations prononcées. Le salarié conserve le bénéfice de la nullité de son licenciement et des sommes allouées.

B. La charge des dépens de la procédure rectificative

La cour décide de « laisser les dépens éventuels de la présente décision à la charge du Trésor public ». Cette solution mérite attention car elle déroge au principe selon lequel la partie perdante supporte les dépens en application de l’article 696 du Code de procédure civile.

La mise à la charge du Trésor public se justifie par l’origine de l’erreur et l’initiative de la rectification. L’erreur procédait d’une information inexacte transmise par le conseil du salarié au greffe. Aucune des parties ne pouvait être considérée comme « perdante » dans cette procédure rectificative qui ne tranchait aucun litige. La saisine d’office par la cour excluait également de faire supporter les frais à l’une ou l’autre partie.

Cette solution traduit une conception réaliste de la procédure de rectification. Lorsque l’erreur ne résulte pas d’une faute caractérisée d’une partie et que la rectification s’impose dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il serait inéquitable de faire peser les frais sur l’une des parties. Le Trésor public assume alors la charge résiduelle de ces dépens généralement modiques.

La portée de cet arrêt demeure limitée à la correction d’une erreur d’adresse. Il rappelle toutefois l’importance de la transmission d’informations exactes aux juridictions par les auxiliaires de justice. L’erreur du conseil du salarié, bien que rectifiable, a engendré des difficultés pour France Travail dans le cadre du remboursement des indemnités de chômage ordonné par l’arrêt initial. La vigilance des parties et de leurs conseils dans la communication de leurs coordonnées participe de la bonne exécution des décisions de justice.

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Hassan KOHEN
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