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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 23 juillet 2025, statuant sur renvoi après cassation, porte sur le licenciement pour faute grave d’une directrice de magasin. La salariée, engagée en mai 2007, avait été licenciée le 26 septembre 2017 pour un management qualifié d’anxiogène et directif, une résistance aux directives de sa hiérarchie et des défauts de communication durant son arrêt maladie. La particularité de l’espèce résidait dans le fait que ce licenciement était intervenu le jour même de sa reprise de poste, après un arrêt maladie de plusieurs mois, sans que l’employeur n’ait organisé la visite médicale de reprise obligatoire.
La salariée avait été placée en arrêt de travail pour maladie ordinaire à compter du 6 avril 2017. Elle avait repris son poste le 12 septembre 2017 et avait été mise à pied à titre conservatoire le même jour puis licenciée pour faute grave. Le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, par jugement du 11 juin 2020, avait jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour d’appel de Versailles, dans un premier arrêt du 12 janvier 2023, avait confirmé cette analyse. La Cour de cassation, par arrêt du 16 octobre 2024, avait cassé cette décision sur le fondement d’un principe essentiel : le salarié qui reprend son travail avant d’avoir fait l’objet de la visite médicale de reprise est soumis au pouvoir disciplinaire de l’employeur.
La question de droit posée à la cour de renvoi était double. D’une part, il convenait de déterminer si un salarié ayant repris le travail sans visite de reprise pouvait faire l’objet d’un licenciement disciplinaire. D’autre part, la cour devait apprécier si les faits reprochés, établis durant la suspension du contrat de travail, pouvaient justifier un licenciement pour faute grave alors même que cette suspension n’avait pas pris fin.
La Cour d’appel de Versailles confirme que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle retient que si les griefs tenant au management anxiogène et à la résistance aux directives sont établis, ils ont été commis durant la suspension du contrat de travail et ne caractérisent pas un manquement à l’obligation de loyauté. Le seul fait reproché le jour de la reprise n’est pas établi.
Cet arrêt présente un intérêt majeur en ce qu’il articule les effets de la suspension du contrat de travail avec l’exercice du pouvoir disciplinaire (I) et en ce qu’il précise les contours de la faute disciplinaire durant cette période (II).
I. L’articulation entre suspension du contrat de travail et pouvoir disciplinaire
La cour de renvoi devait résoudre une question délicate tenant aux effets de l’absence de visite de reprise sur la situation juridique du salarié (A), avant de pouvoir déterminer l’étendue du pouvoir disciplinaire de l’employeur (B).
A. Les effets de l’absence de visite de reprise sur la situation du salarié
La Cour rappelle le principe selon lequel « en l’absence de visite de reprise, le contrat de travail se trouve toujours suspendu ». Cette règle, constante depuis l’arrêt de la chambre sociale du 13 juillet 2010, emporte des conséquences protectrices pour le salarié. L’employeur ne peut lui reprocher son absence ni invoquer un abandon de poste. Le salarié qui se tient à la disposition de son employeur conserve son droit à rémunération.
La situation de l’espèce présentait une particularité. La salariée avait effectivement repris son poste le 12 septembre 2017, bien que l’employeur n’ait pas organisé la visite médicale obligatoire. La Cour de cassation avait, dans son arrêt du 16 octobre 2024 rendu dans cette même affaire, posé le principe selon lequel « le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour maladie et qui reprend son travail avant d’avoir fait l’objet de la visite médicale de reprise est soumis au pouvoir disciplinaire de l’employeur ». La cour de renvoi était donc liée par cette interprétation.
La cour relève qu’il « ne ressort pas des pièces produites par les parties l’existence d’éléments médicaux justifiant que la salariée n’aurait pas été en état de tenir son poste ». Cette précision est essentielle. Elle permet de distinguer la situation d’un salarié qui reprend volontairement son poste de celle d’un salarié qui serait dans l’incapacité physique de travailler.
B. L’étendue du pouvoir disciplinaire en cas de reprise anticipée
La reconnaissance du pouvoir disciplinaire de l’employeur ne signifie pas que celui-ci dispose d’une latitude absolue. La cour procède à un examen rigoureux de chacun des griefs formulés dans la lettre de licenciement. Elle écarte le grief relatif au comportement du 12 septembre 2017 au motif que les éléments sont « contradictoires » et que ce fait « ne repose que sur la seule attestation » d’un collaborateur.
La cour établit ensuite la matérialité des autres griefs. Elle retient que « le management directif, déstabilisant et anxiogène » envers les collaborateurs est établi par des attestations « précises, circonstanciées et concordantes ». De même, elle considère prouvé « le refus de la salariée d’exécuter les directives de sa hiérarchie ». En revanche, elle écarte le grief relatif à l’absence de communication des arrêts maladie, qualifiant l’allégation de l’employeur de « dépourvue de toute offre de preuve ».
Cette méthode d’analyse illustre le contrôle juridictionnel exercé sur les décisions patronales. L’établissement matériel des faits ne suffit pas à justifier le licenciement. Encore faut-il que ces faits puissent être reprochés au salarié dans le cadre d’une procédure disciplinaire régulière.
II. Les contours de la faute disciplinaire durant la suspension du contrat
La cour devait déterminer si les faits établis, commis durant la suspension du contrat, constituaient une faute disciplinaire (A), avant d’en tirer les conséquences sur la validité du licenciement (B).
A. L’exigence d’un manquement à l’obligation de loyauté
La cour rappelle que « au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur demeure fondé à reprocher au salarié des manquements à l’obligation de loyauté ». Elle précise également que « l’acte commis par un salarié durant la suspension de son contrat de travail doit mettre en cause l’employeur ou l’entreprise et se rattacher à l’exécution du contrat ». Cette double condition cumulative encadre strictement le pouvoir disciplinaire de l’employeur.
La jurisprudence citée par la cour témoigne de la constance de cette exigence. Les arrêts des 21 juillet 1994 et 21 octobre 2003 avaient déjà posé le principe selon lequel seuls les manquements à l’obligation de loyauté peuvent fonder un licenciement durant la suspension. L’obligation de loyauté constitue ainsi le critère de rattachement entre les faits commis durant la suspension et la relation de travail.
La cour procède ensuite à la qualification juridique des faits établis. Elle constate que « ces faits ne caractérisent pas un manquement de la salariée à son obligation de loyauté ». Le management anxiogène et le refus d’appliquer les directives relèvent de l’exécution même du contrat de travail, non d’une déloyauté envers l’employeur durant la période de suspension.
B. Les conséquences sur la validité du licenciement
La cour tire les conséquences de son analyse en jugeant que les faits établis « n’ont pas été commis par la salariée durant la suspension de son contrat de travail et ne mettent pas en cause l’employeur ou l’entreprise ». Cette formulation mérite attention. Les faits ont certes été commis avant l’arrêt maladie, mais ils ne peuvent être reprochés à la salariée dans le cadre d’un licenciement intervenu alors que le contrat demeurait suspendu.
La solution retenue confirme le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour condamne l’employeur au paiement d’une indemnité de 25 000 euros, dans les limites du barème prévu par les articles L. 1235-3 du code du travail. Elle prend soin de rappeler que ce barème « permet raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi » et satisfait aux exigences de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.
La portée de cet arrêt réside dans la clarification qu’il apporte. Si la Cour de cassation a admis que le salarié reprenant son travail sans visite de reprise est soumis au pouvoir disciplinaire, ce pouvoir ne peut s’exercer que pour des faits commis lors de cette reprise effective ou pour des manquements à l’obligation de loyauté durant la suspension. Les faits antérieurs à la suspension, fussent-ils établis, ne peuvent fonder un licenciement pour faute grave tant que le contrat demeure juridiquement suspendu.