Cour d’appel de Versailles, le 24 juin 2025, n°24/07062

La saisine du juge dans le délai de forclusion prévu par l’article R. 624-5 du code de commerce constitue une exigence procédurale dont le non-respect emporte des conséquences irréversibles pour le créancier. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 24 juin 2025 illustre la rigueur avec laquelle les juridictions appliquent ce délai.

En l’espèce, une société civile immobilière de construction-vente a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 12 juin 2023. Deux créanciers ont déclaré à la procédure collective une créance de 65 217,51 euros. Par ordonnance du 11 juin 2024, le juge-commissaire a constaté l’existence d’une contestation sérieuse et invité les créanciers à saisir la juridiction compétente dans le délai d’un mois à peine de forclusion. Cette ordonnance leur a été notifiée le 15 juin 2024. Le 9 juillet 2024, leur avocat s’est constitué devant le tribunal judiciaire de Pontoise dans une instance antérieurement engagée par la société débitrice contre eux. Ce n’est que le 5 septembre 2024 qu’ils ont assigné le liquidateur en intervention forcée.

Par ordonnance du 24 octobre 2024, le juge-commissaire a constaté la forclusion de leur créance. Les créanciers ont interjeté appel, soutenant que la constitution d’avocat valait saisine de la juridiction compétente et que leur imposer une assignation constituerait un formalisme excessif. Ils invoquaient également un arrêt de la Cour de cassation du 3 juillet 2024 relatif à la reprise des instances en cours.

La question posée à la Cour d’appel de Versailles était donc la suivante : la constitution d’avocat dans une instance pendante suffit-elle à saisir valablement la juridiction compétente au sens de l’article R. 624-5 du code de commerce ?

La cour confirme l’ordonnance entreprise. Elle retient qu’« une constitution d’avocat ne saisit le juge d’aucune prétention » et que le liquidateur n’était pas partie à l’instance à la date de cette constitution. Elle écarte l’argument tiré de la jurisprudence invoquée, considérant cette solution « ici sans application ».

Cette décision invite à examiner les conditions de la saisine juridictionnelle dans le cadre du renvoi prévu par l’article R. 624-5 du code de commerce (I), avant d’apprécier les conséquences de l’absence de demande valablement formée dans le délai imparti (II).

I. Les conditions de la saisine juridictionnelle dans le cadre du renvoi à mieux se pourvoir

L’examen des conditions de la saisine suppose de distinguer la nature de l’acte requis (A) de la nécessité d’attraire le mandataire judiciaire à la procédure (B).

A. L’insuffisance de la constitution d’avocat comme acte de saisine

L’article R. 624-5 du code de commerce impose au créancier, invité par le juge-commissaire à mieux se pourvoir, de « saisir la juridiction compétente » dans un délai d’un mois. La cour d’appel de Versailles adopte une interprétation stricte de cette exigence.

Les créanciers soutenaient que la constitution de leur avocat devant le tribunal judiciaire de Pontoise, intervenue le 9 juillet 2024, soit dans le délai légal, satisfaisait à cette obligation. La cour rejette cet argument en énonçant qu’« une constitution d’avocat ne saisit le juge d’aucune prétention ».

Cette analyse s’inscrit dans une conception classique de l’acte introductif d’instance. La saisine d’une juridiction suppose la formulation d’une demande en justice, laquelle requiert l’expression d’une prétention. La constitution d’avocat, acte par lequel un auxiliaire de justice manifeste qu’il représentera une partie, ne contient par elle-même aucune prétention. Elle constitue une formalité nécessaire à la représentation mais non suffisante à la saisine.

La cour relève par ailleurs qu’« il n’est pas allégué que M. et Mme [R] avaient, avant le 12 juin 2023, date du jugement d’ouverture, pris des conclusions devant le tribunal judiciaire de Pontoise pour réclamer une condamnation de la société débitrice par voie reconventionnelle ». Cette précision souligne que les créanciers n’avaient jamais saisi le juge d’une demande tendant à la fixation de leur créance.

L’exigence d’un acte de saisine formalisé répond à l’objectif de célérité des procédures collectives. Le législateur entend que les contestations relatives aux créances soient tranchées dans des délais brefs afin de permettre l’établissement définitif du passif.

B. L’obligation d’attraire le liquidateur à la procédure

La cour souligne qu’« il est constant que le liquidateur n’était pas, à la date de cette constitution, partie à l’instance en cours », de sorte qu’« aucune prétention ne pouvait être valablement émise contre cette société ».

Cette exigence découle des effets du jugement d’ouverture de la procédure collective. L’article L. 641-9 du code de commerce dispose que le jugement de liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement du débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens. Le liquidateur représente dès lors le débiteur dans tous les actes concernant la procédure.

Une demande tendant à la fixation d’une créance au passif ne peut donc être valablement formée sans que le liquidateur soit partie à l’instance. La constitution d’avocat dans une procédure où le liquidateur n’était pas attrait ne pouvait produire aucun effet utile.

Les créanciers invoquaient l’arrêt de la Cour de cassation du 3 juillet 2024 selon lequel les instances en cours sont interrompues jusqu’à la déclaration de créance, puis reprises de plein droit. La cour écarte cette jurisprudence en retenant qu’elle est « ici sans application ». Cette solution se justifie par la différence de situation. L’arrêt invoqué concerne les instances en cours au jour du jugement d’ouverture dans lesquelles le créancier était demandeur. En l’espèce, les créanciers étaient défendeurs à l’action engagée par la société débitrice et n’avaient formé aucune demande reconventionnelle avant l’ouverture de la procédure.

II. Les conséquences de l’absence de saisine dans le délai imparti

L’expiration du délai sans saisine valable emporte forclusion (A), sanction dont la sévérité pose la question du formalisme procédural (B).

A. Le caractère automatique de la forclusion

L’article R. 624-5 du code de commerce prévoit que le défaut de saisine de la juridiction compétente dans le délai d’un mois emporte forclusion. Cette sanction présente un caractère automatique que la cour applique sans tempérament.

L’ordonnance du juge-commissaire du 11 juin 2024 avait expressément invité les créanciers « à saisir la juridiction compétente dans le délai d’un mois de sa notification, à peine de forclusion ». Cette mention informait clairement les créanciers de la sanction encourue.

La cour constate que l’assignation du liquidateur en intervention forcée n’est intervenue que le 5 septembre 2024, soit plus d’un mois après la notification de l’ordonnance effectuée le 15 juin 2024. Le délai expirait donc le 15 juillet 2024. L’acte de saisine, intervenu près de deux mois après cette échéance, était manifestement tardif.

La forclusion se distingue de la prescription en ce qu’elle n’est pas susceptible de suspension ni d’interruption. Elle constitue un délai préfix dont l’expiration éteint définitivement le droit d’agir. Le créancier forclos ne peut plus obtenir l’admission de sa créance au passif. Cette sanction, particulièrement rigoureuse, se justifie par l’impératif de sécurité juridique propre aux procédures collectives.

La cour confirme donc « l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions », entérinant la forclusion de la créance déclarée.

B. Le rejet de l’argument tiré du formalisme excessif

Les créanciers soutenaient que « considérer que la constitution ne vaut pas reprise de l’instance constitue un formalisme excessif ». La cour écarte cet argument par une motivation lapidaire mais efficace.

Elle relève qu’« ayant été en mesure d’accomplir cette démarche procédurale dans le délai prévu par la loi, les époux [R] ne peuvent donc pas prétendre que leur en imposer une autre constitue un formalisme excessif ». La constitution d’avocat intervenue le 9 juillet 2024 démontre que les créanciers avaient la capacité matérielle d’agir dans le délai. Ils auraient pu, dans ce même délai, délivrer une assignation au liquidateur.

L’argument tiré du formalisme excessif suppose que l’exigence procédurale méconnue soit disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Tel n’est pas le cas lorsque l’acte requis répond à une fonction précise que l’acte accompli ne remplit pas. La constitution d’avocat et l’assignation poursuivent des finalités distinctes. La première manifeste la représentation d’une partie, la seconde saisit le juge d’une prétention. Imposer une assignation ne constitue donc pas une rigueur excessive mais l’application normale des règles de procédure.

Les créanciers invoquaient également des difficultés de communication avec leur précédent avocat. La cour ne retient pas ces circonstances comme constitutives d’un cas de force majeure ou d’un motif légitime de dépassement du délai. Le changement d’avocat relève de la responsabilité des parties dans l’organisation de leur défense.

Cette décision rappelle que les délais de forclusion prévus par le livre VI du code de commerce s’appliquent avec rigueur. Le créancier invité à saisir la juridiction compétente doit accomplir un acte de saisine au sens propre, incluant la mise en cause du mandataire judiciaire. La simple constitution d’avocat dans une instance pendante, fût-elle connexe au litige sur la créance, ne satisfait pas à cette exigence.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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