Cour de justice de l’Union européenne, le 10 juin 2021, n°C-192/20

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 10 juin 2021, une décision précisant les limites du contrôle des clauses abusives. Un contrat de prêt à la consommation a fait l’objet d’une déchéance du terme suite à des mensualités impayées par l’emprunteur. Le créancier réclamait le capital restant dû ainsi que le cumul des intérêts moratoires et des intérêts ordinaires jusqu’au remboursement complet. Le tribunal de district de Kežmarok a rejeté la demande concernant les intérêts ordinaires par un jugement du 20 septembre 2019. Les juges considéraient que la législation nationale protégeait le consommateur contre une aggravation de sa situation contractuelle par l’organisme de crédit. La cour régionale de Prešov a saisi la juridiction européenne pour clarifier l’articulation entre le droit national et la directive communautaire. La question de droit porte sur la possibilité d’appliquer une norme nationale limitant les intérêts dus après la déchéance du terme. La Cour juge que la directive ne s’applique pas aux dispositions nationales impératives excluant le cumul des deux types d’intérêts. L’analyse de l’exclusion des règles impératives précèdera l’examen de la fonction indemnitaire dévolue aux différents taux d’intérêt prévus par le contrat.

**I. L’éviction du contrôle des clauses abusives par le droit national impératif**

**A. Le rappel du domaine d’application de la directive 93/13/CEE**

La Cour rappelle que l’article premier paragraphe deux de la directive exclut les clauses contractuelles reflétant des dispositions législatives impératives nationales. « L’expression “dispositions législatives ou réglementaires impératives” figurant à l’article 1er paragraphe 2 couvre également les règles qui s’appliquent en l’absence d’arrangement ». Ce principe repose sur la présomption que le législateur national a déjà établi un équilibre entre les droits des parties contractantes. La juridiction européenne vérifie si les normes nationales limitant les sanctions financières en cas de retard relèvent de cette catégorie juridique. Ces dispositions s’imposent aux contractants indépendamment de leur volonté initiale et ne concernent pas le contrôle spécifique du caractère abusif des clauses. L’examen du régime de protection nationale permet ainsi d’écarter l’application de la directive pour préserver les choix politiques du législateur interne.

**B. La préservation de l’équilibre contractuel établi par le législateur national**

L’article cinquante-quatre du code civil interdit au consommateur de renoncer aux droits reconnus par la loi ou d’aggraver sa position contractuelle. Les juges européens soulignent que l’exclusion du champ d’application de la directive vise à préserver l’équilibre voulu par les autorités nationales. Cette exclusion « couvre les dispositions législatives ou réglementaires impératives autres que celles se rapportant au contrôle des clauses abusives » au contrat. Le plafonnement des sanctions applicables en cas de déchéance du terme constitue une mesure protectrice autonome vis-à-vis du droit de l’Union. Les dispositions nationales ne sont donc pas soumises aux exigences d’annulation ou de modification prévues pour les clauses jugées abusives par le juge. L’éviction du droit européen laisse ainsi place à une analyse de la nature juridique des sommes réclamées par le prêteur au consommateur.

**II. La clarification de la charge financière supportée par le consommateur défaillant**

**A. La neutralité de l’exigence de remboursement sur les intérêts rémunératoires**

Le créancier soutenait que l’utilisation des fonds par l’emprunteur justifiait le paiement d’intérêts ordinaires jusqu’au remboursement effectif de la dette totale. La Cour distingue clairement les intérêts moratoires, visant à sanctionner l’inexécution, des intérêts ordinaires ayant une fonction de rétribution du prêt. « Les intérêts moratoires visent à sanctionner l’inexécution par le débiteur de son obligation d’effectuer les remboursements aux échéances contractuellement convenues » par les parties. En revanche, les intérêts ordinaires rémunèrent la mise à disposition d’un capital tant que celui-ci n’est pas devenu immédiatement exigible par l’organisme. La déchéance du terme transforme la nature de l’obligation et permet au législateur national d’encadrer strictement les compensations dues au créancier. La compréhension de ces fonctions distinctes permet d’évaluer la portée réelle des précédents jurisprudentiels invoqués par le prêteur lors de l’instance.

**B. L’autonomie de la solution nationale face au précédent Banco Santander**

L’établissement de crédit invoquait une jurisprudence antérieure pour justifier le maintien des intérêts ordinaires malgré le caractère abusif des intérêts moratoires. La Cour précise que la directive n’exige pas d’écarter les clauses qui n’ont pas été formellement qualifiées d’abusives par le juge national. « Il ne découle pas de cette directive que la mise à l’écart de la clause fixant le taux des intérêts moratoires entraîne celle des intérêts ordinaires ». Cette solution ne s’oppose toutefois pas à une législation nationale interdisant le cumul d’intérêts si le préjudice réel est déjà couvert. L’arrêt Banco Santander ne saurait être interprété comme une obligation d’autoriser la perception d’intérêts rémunératoires après la rupture anticipée du contrat. La souveraineté des États membres demeure ainsi intacte pour définir le niveau de protection sociale et économique accordé aux emprunteurs fragiles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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