La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 janvier 2017, une décision fondamentale concernant la reconnaissance mutuelle des jugements pénaux. Le litige porte sur l’interprétation des articles relatifs à la double incrimination dans le cadre du transfèrement de personnes condamnées au sein de l’espace européen. Un ressortissant national a été condamné par le tribunal de Cheb le 3 octobre 2014 pour vol avec effraction et obstruction à une décision publique. La Cour de Prešov a alors saisi la juridiction européenne d’un renvoi préjudiciel portant sur les modalités d’exécution de cette peine privative de liberté. L’autorité d’émission a sollicité la reconnaissance du jugement afin que la sanction soit exécutée dans l’État de résidence du condamné pour favoriser sa réinsertion. Le problème juridique réside dans la détermination des modalités d’appréciation de la double incrimination lors de l’exécution d’une condamnation pénale par un État membre. La Cour estime que cette condition est remplie si les faits étaient pénalement sanctionnés s’ils s’étaient produits sur le territoire de l’État d’exécution. L’analyse portera sur l’adoption d’une approche factuelle de la double incrimination avant d’étudier la portée du principe de reconnaissance mutuelle des peines.
I. Une appréciation matérielle et souple des faits incriminés
A. L’abandon d’une correspondance juridique stricte
La juridiction européenne rappelle que la reconnaissance d’un jugement étranger peut être subordonnée à la condition que les faits constituent une infraction nationale. L’article sept de la décision-cadre précise que cette vérification doit s’opérer « quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification de celle-ci ». Cette formulation indique qu’une identité parfaite entre les incriminations de l’État d’émission et de l’État d’exécution n’est absolument pas requise par le droit. Le juge national ne doit donc pas rechercher une symétrie parfaite entre les textes pénaux pour valider le principe de la reconnaissance mutuelle. La Cour consacre ainsi une « approche flexible » qui permet de surmonter les divergences techniques existant entre les législations criminelles des différents États membres. Une telle souplesse garantit l’efficacité du mécanisme de coopération judiciaire en évitant que des obstacles purement formels ne fassent échec à l’exécution des peines. La reconnaissance d’une correspondance juridique abstraite impose alors au juge de se concentrer sur la dimension purement matérielle de l’acte reproché au condamné.
B. La mise en œuvre d’une transposition factuelle fictive
L’autorité compétente doit vérifier si les éléments factuels seraient passibles d’une sanction pénale s’ils s’étaient produits sur son propre territoire national. Il convient d’apprécier la « correspondance entre les éléments factuels à la base de l’infraction et la définition de l’infraction conformément au droit national ». Le juge doit procéder à une expérience de pensée consistant à localiser virtuellement le comportement fautif dans son propre ordre juridique interne. Cette méthode permet de vérifier si l’acte est considéré comme répréhensible par la société nationale sans s’arrêter à sa localisation géographique initiale. La Cour souligne que les faits doivent être considérés « en tant que tels » pour déterminer si une sanction pénale serait encourue par l’auteur. Le critère déterminant repose donc sur la matérialité du comportement plutôt que sur la violation d’un intérêt strictement lié à la souveraineté étrangère. L’adoption d’une lecture matérielle de l’incrimination s’inscrit plus largement dans une volonté de fluidifier les échanges judiciaires au sein de l’Union européenne.
II. Une interprétation finaliste favorisant l’espace judiciaire européen
A. Le caractère exceptionnel du contrôle de double incrimination
Le principe de reconnaissance mutuelle constitue la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire pénale et repose sur une confiance réciproque entre les États. Le contrôle de la double incrimination demeure une simple faculté pour l’État d’exécution et doit être interprété de manière particulièrement stricte. La Cour affirme que le motif de refus tiré de l’absence de double incrimination doit être limité pour favoriser la fluidité des rapports judiciaires. L’exigence d’une infraction nationale ne vise qu’à éviter d’exécuter des condamnations pour des comportements que l’État de réception jugerait totalement licites. Ainsi, le juge ne doit pas vérifier « si l’intérêt protégé par l’État d’émission a été violé » lors de la commission de l’acte litigieux. Il importe seulement qu’un « intérêt semblable » soit protégé par le droit national dans une situation hypothétique de commission interne de l’infraction. La reconnaissance d’un intérêt protégé partagé permet de dépasser les frontières étatiques pour assurer l’efficacité de la justice pénale dans l’espace commun.
B. La promotion de l’objectif de réinsertion sociale du condamné
La décision-cadre poursuit l’objectif essentiel de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée en lui permettant de purger sa peine à proximité. Cette finalité justifie une interprétation qui réduit les obstacles techniques susceptibles d’empêcher le transfèrement d’un ressortissant vers son État de résidence habituelle. La Cour de justice privilégie l’efficacité du droit de l’Union sur les susceptibilités juridiques liées à la protection exclusive des intérêts publics nationaux. L’exécution de la condamnation dans l’État de résidence favorise la stabilité des liens familiaux et sociaux, ce qui constitue un facteur clef de prévention. En l’espèce, le non-respect d’une interdiction de conduire prononcée à l’étranger doit être sanctionné comme s’il s’agissait d’une décision d’une autorité nationale. La solution retenue assure ainsi une continuité de la réponse pénale tout en respectant les droits fondamentaux des individus au sein de l’espace européen.