La Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée, le onze janvier deux mille vingt-quatre, sur la validité d’un règlement fixant les totaux admissibles de captures. Cette décision traite du conflit entre les objectifs environnementaux de la politique commune de la pêche et les nécessités économiques des pêcheries mixtes. Une association de protection de l’environnement a contesté des avis nationaux de gestion devant la Haute Cour d’Irlande en invoquant l’illégalité du droit européen. La juridiction irlandaise a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle portant sur la conformité des limites de captures au rendement maximal durable. Le requérant soutenait que le Conseil de l’Union européenne devait fixer des captures nulles conformément aux avis scientifiques disponibles pour certains stocks vulnérables. Les autorités défenderesses faisaient valoir la complexité de la gestion des pêcheries où plusieurs espèces sont capturées simultanément lors d’une même opération. Dès lors, le problème juridique résidait dans l’interprétation du caractère impératif du délai de deux mille vingt pour atteindre le taux d’exploitation durable. La Cour de justice a conclu à la validité du règlement en soulignant le pouvoir d’appréciation du Conseil pour les stocks de prises accessoires. L’analyse portera d’abord sur la reconnaissance d’une marge d’appréciation technique avant d’étudier la validation du compromis entre impératifs biologiques et viabilité économique.
I. La reconnaissance par le juge d’une marge d’appréciation technique nécessaire à la gestion des pêcheries mixtes européennes
A. L’articulation nécessaire entre l’objectif de durabilité environnementale et la prise en compte des contraintes écosystémiques
La Cour rappelle que la politique commune de la pêche doit garantir des activités durables à long terme sur le plan environnemental et économique. L’article deux du règlement cadre fixe l’objectif de rétablir les populations au-dessus des niveaux permettant d’obtenir le rendement maximal durable. Cette disposition prévoit que « le taux d’exploitation permettant d’obtenir le rmd sera, si cela est possible, atteint en 2015 et pour tous les stocks en 2020 au plus tard ». Toutefois, le juge souligne que cet objectif environnemental doit s’apprécier au regard des réalités socio-économiques pesant sur le secteur de la pêche européenne. La protection de la biomasse ne saurait ignorer la nécessité de maintenir un niveau de vie équitable pour les populations dépendant de cette activité. La gestion des ressources biologiques vivantes de la mer suppose une conciliation entre la restauration des stocks et la viabilité des entreprises.
B. La mise en œuvre d’un régime de gestion différencié selon la nature ciblée ou accessoire des stocks exploités
Le législateur de l’Union a établi une distinction fondamentale entre les stocks cibles et les stocks faisant l’objet de prises accessoires. Pour les espèces visées par l’activité de pêche, l’obligation d’atteindre le rendement maximal durable en deux mille vingt s’applique de manière stricte. En revanche, la gestion des stocks capturés de façon fortuite bénéficie d’une souplesse nécessaire pour éviter le phénomène des stocks à quotas limitants. La Cour précise que « la gestion des pêcheries mixtes tient compte de la difficulté de pêcher tous les stocks en même temps à des niveaux correspondant au rmd ». Cette approche pragmatique évite que l’épuisement rapide du quota d’une espèce vulnérable n’entraîne la fermeture prématurée de l’ensemble de la pêcherie. Cette latitude décisionnelle accordée à l’institution européenne justifie l’application d’un contrôle juridictionnel restreint sur les mesures de limitation des captures.
II. La validation judiciaire du compromis opéré entre les impératifs de restauration biologique et la viabilité économique
A. L’exercice d’un contrôle juridictionnel restreint sur les décisions portant sur l’évaluation de situations économiques complexes
Le Conseil bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer des situations économiques complexes et fixer les limitations quantitatives de captures. Le contrôle juridictionnel se limite à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, de détournement de pouvoir ou de dépassement manifeste des limites de compétence. La Cour estime que l’établissement de totaux admissibles de captures supérieurs à zéro ne constitue pas une erreur flagrante malgré les avis scientifiques. Les décisions contestées reposaient sur un compromis visant à maintenir l’activité des flottilles tout en incitant à la sélectivité. Les juges soulignent que le Conseil a pris en compte les effets socio-économiques graves qui résulteraient de la fermeture totale de certaines zones. La fixation des quotas ne saurait se réduire à une application automatique des recommandations scientifiques sans considération des réalités opérationnelles.
B. La reconnaissance de l’efficacité des mesures correctives d’accompagnement pour assurer le rétablissement rapide de la biomasse
La validité du règlement repose également sur l’adoption de mesures d’accompagnement destinées à limiter l’impact des prises accessoires sur les stocks vulnérables. Le juge relève que « des mesures correctives peuvent inclure la suspension de la pêche ciblée pour le stock concerné et la réduction adéquate des possibilités de pêche ». L’utilisation d’engins hautement sélectifs et le mécanisme d’échange de quotas entre les États membres contribuent à la protection des ressources halieutiques. Ces dispositifs techniques permettent d’augmenter progressivement la biomasse des populations exploitées tout en autorisant le débarquement des captures inévitables. La Cour valide ainsi une stratégie de gestion graduelle qui privilégie l’évitement des rejets et le renforcement des contrôles techniques sur les navires. Cette décision consacre la primauté d’une gestion écosystémique capable de concilier la protection de l’environnement marin avec la survie économique des communautés.