La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 12 février 2015 une décision relative à l’articulation entre le droit communautaire et les procédures nationales. L’affaire concerne une société ayant construit un établissement hospitalier tout en accumulant des crédits de taxe sur la valeur ajoutée au titre des travaux réalisés. Afin de déduire cette taxe, l’entité a cédé l’exploitation du site à une autre structure appartenant au même groupe économique par un contrat de location. L’administration fiscale a toutefois considéré que cette opération constituait une pratique abusive destinée exclusivement à obtenir un avantage fiscal indu au regard de la réglementation. Elle a donc procédé à un redressement sans respecter la procédure spéciale prévue par la loi interne portugaise pour sanctionner les montages artificiels ou frauduleux. Le Tribunal Tributário de Lisboa a, par un jugement du 25 octobre 2012, rejeté le recours du contribuable contestant la validité de l’avis de recouvrement émis. Le litige a été porté devant le Supremo Tribunal Administrativo qui a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur cette difficulté. La question posée visait à déterminer si le droit de l’Union s’oppose à l’application obligatoire d’une procédure administrative nationale en cas de soupçon de pratique abusive. L’étude de cette solution conduit à analyser la reconnaissance de l’autonomie procédurale des États membres (I) avant d’envisager la légitimité d’une procédure nationale protectrice (II).
I. La reconnaissance de l’autonomie procédurale des États membres
L’analyse de l’arrêt nécessite d’aborder d’abord l’absence de cadre harmonisé (A) puis l’encadrement par les principes d’équivalence et d’efficacité (B) au sein de l’Union.
A. L’absence de cadre processuel harmonisé en matière de lutte contre l’abus
La directive 2006/112 habilite certes les États membres à prendre des mesures pour assurer l’exacte perception de la taxe et éviter les fraudes éventuelles. Ce texte ne prévoit aucune disposition précisant concrètement le contenu des mesures devant être adoptées par les autorités nationales pour atteindre cet objectif de contrôle. En l’absence de réglementation européenne, la mise en œuvre de la lutte contre la fraude relève de l’ordre juridique interne de chaque État membre. Le juge souligne qu’ « il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre » de régler les modalités des procédures de sauvegarde des droits. Cette autonomie procédurale n’est toutefois pas absolue et doit se conformer à certaines limites fixées par le juge communautaire pour préserver les droits individuels fondamentaux.
B. L’encadrement par les principes d’équivalence et d’efficacité
Les modalités procédurales nationales ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature purement interne par application du principe d’équivalence. Elles ne doivent pas non plus rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne. Le respect du principe d’équivalence pourrait nécessiter l’application de la procédure spéciale dès lors qu’un contribuable est soupçonné d’avoir commis une fraude fiscale. L’encadrement européen limite les prérogatives étatiques mais valide néanmoins les mécanismes offrant des garanties substantielles aux contribuables confrontés à des suspicions de fraude fiscale.
II. La légitimité d’une procédure nationale protectrice des garanties fondamentales
La légitimité de la procédure repose sur sa conformité avec la répression de la fraude (A) et sur la consécration d’une protection juridictionnelle effective (B).
A. La conformité de la procédure spéciale avec l’objectif de répression de la fraude
L’application d’une procédure administrative obligatoire ne va pas, en elle-même, à l’encontre de l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale reconnu par la jurisprudence constante. Une telle formalité préalable permet au contraire d’assurer une certaine sécurité juridique tout en préservant les intérêts financiers du Trésor public par une instruction complète. L’arrêt précise que cette procédure spéciale se caractérise notamment par l’audition préalable de la personne concernée dans un délai de trente jours après la notification. Ces règles processuelles servent avant tout à asseoir la légitimité de l’action publique en protégeant les libertés fondamentales de chaque justiciable au cours du contrôle.
B. La consécration du droit à une protection juridictionnelle effective
La procédure nationale est jugée favorable à la personne soupçonnée d’abus car elle vise à garantir le respect effectif de certains droits fondamentaux très importants. L’exigence de motivation de la décision administrative renforce également la protection du justiciable face à un éventuel arbitraire des services chargés du contrôle fiscal. Le législateur est tenu de respecter les exigences d’une protection juridictionnelle effective garanties par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. L’instauration d’un recours contentieux autonome contre l’autorisation administrative d’agir contre l’abus participe pleinement à cet impératif de sauvegarde des droits de la défense.