Cour de justice de l’Union européenne, le 12 juin 2018, n°C-650/16

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 12 juin 2018, une décision fondamentale concernant l’exercice de la liberté d’établissement par les sociétés résidentes. Une entité souhaitait déduire de son résultat imposable les pertes subies par une succursale située dans un autre État membre après sa fermeture définitive. Les autorités fiscales ont rejeté cette demande en invoquant une législation qui écarte les revenus des établissements stables étrangers du calcul du bénéfice. La cour d’appel de la région Est du Danemark a alors saisi la Cour d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité de cette exclusion. Le problème juridique réside dans l’admission de la déduction des pertes d’un établissement stable non-résident lorsque celles-ci revêtent un caractère irrécupérable. La Cour énonce que « l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation excluant la déduction des pertes subies à l’étranger ». La caractérisation d’une entrave à la liberté d’établissement précède l’analyse de l’encadrement de la justification de la restriction fiscale.

I. La caractérisation d’une entrave à la liberté d’établissement

A. L’existence d’une différence de traitement entre établissements stables La Cour souligne que l’octroi d’un avantage fiscal aux établissements résidents constitue une mesure dont sont privés les établissements stables situés à l’étranger. Cette distinction conduit à une situation fiscale moins favorable pour les sociétés exerçant leur activité économique dans un autre État membre de l’Union. Le juge considère que cette différence de traitement dissuade les opérateurs de créer des structures transfrontalières pour le développement de leurs activités commerciales. Elle précise que « le fait d’accorder un tel avantage lorsque les pertes proviennent d’un établissement stable résident mais non lorsqu’elles proviennent d’un établissement non-résident » est problématique. L’existence d’un régime optionnel d’intégration fiscale internationale ne suffit pas à effacer ce constat en raison des contraintes temporelles et matérielles imposées. Les sociétés se trouvent ainsi limitées dans leur choix d’organisation juridique au sein du marché intérieur européen par ces dispositions fiscales restrictives.

B. La comparabilité objective des situations au regard des pertes définitives L’analyse de la comparabilité s’effectue au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation nationale visant à prévenir la double déduction des pertes. La Cour affirme que les sociétés possédant un établissement stable non-résident ne sont pas, en principe, dans une situation comparable aux sociétés résidentes. Cependant, le caractère définitif des pertes modifie radicalement cette appréciation juridique en rapprochant la situation de l’unité étrangère de celle d’une entité nationale. Le juge note que « la capacité contributive d’une société qui détient un établissement stable non‑résident ayant subi des pertes définitives est affectée de la même manière ». L’objectif de prévention de la double déduction ne saurait donc justifier l’exclusion lorsque tout risque de récupération fiscale à l’étranger est écarté. Les deux situations deviennent objectivement comparables dès lors que l’établissement stable a cessé toute activité et ne perçoit plus aucune recette future.

II. L’encadrement de la justification de la restriction fiscale

A. La validité des impératifs d’intérêt général invoqués La restriction peut être justifiée par la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition et la nécessité de garantir la cohérence globale du système fiscal. La Cour reconnaît que permettre le libre choix de l’État d’imputation des pertes compromettrait gravement la symétrie entre le droit d’imposer et la déduction. Elle relève qu’un lien direct existe entre l’exonération des bénéfices étrangers et l’impossibilité de déduire les charges correspondantes au sein du résultat global. Le texte national « établit un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé ». Ces motifs constituent des raisons impérieuses d’intérêt général capables de légitimer une atteinte à la liberté de circulation des capitaux et des personnes. Le juge européen admet ainsi la légitimité de la protection de l’assiette fiscale nationale contre les stratégies d’optimisation basées sur l’arbitrage des pertes.

B. L’exigence de proportionnalité face à l’irrécupérabilité des pertes Le respect du principe de proportionnalité impose que la mesure restrictive ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire pour atteindre les objectifs fixés. La Cour juge disproportionné le refus de déduction lorsque la société apporte la preuve que les pertes de sa succursale étrangère sont devenues définitives. Elle définit ce caractère définitif par l’épuisement de toutes les possibilités de prise en compte des pertes dans l’État de situation de l’établissement. Il faut également que l’entité « ait cessé de percevoir une quelconque recette de sorte qu’il n’existe plus aucune possibilité pour que lesdites pertes soient compensées ». Cette solution s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence antérieure tout en l’adaptant spécifiquement aux structures dépourvues de personnalité juridique propre. La charge de la preuve incombe à la société résidente qui doit démontrer l’impossibilité matérielle et juridique de valoriser fiscalement son déficit à l’étranger.

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Hassan KOHEN
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