La Cour de justice de l’Union européenne précise, le 12 juin 2019, les contours de la notion européenne de pratique commerciale agressive. Un fournisseur de services proposait la conclusion de contrats à distance avec une signature finale lors de la visite d’un coursier. Le client recevait les documents contractuels lors de cette rencontre physique mais pouvait préalablement consulter les modèles types sur le site internet. L’autorité nationale de protection des consommateurs a qualifié ce mode de vente de déloyal car il empêcherait une prise de connaissance sereine. Saisie d’un recours, la Cour suprême de Pologne a sollicité une interprétation préjudicielle concernant la portée des articles huit et neuf de la directive. Il s’agit de savoir si l’obligation de décider devant un tiers, sans envoi individuel préalable des clauses, constitue une influence injustifiée interdite. La juridiction européenne écarte toute agressivité automatique mais réserve l’hypothèse d’une pression réelle exercée sur la volonté du cocontractant au moment de l’engagement. L’étude de cette solution conduit à analyser l’absence d’agressivité intrinsèque du procédé (I) avant d’examiner les critères de pressions concrètes (II).
I. La reconnaissance du caractère supplétif de l’agressivité commerciale
A. Le refus d’une présomption d’illicéité par l’inscription à l’annexe exhaustive
Les juges rappellent que la directive établit une liste limitative de comportements réputés déloyaux en toutes circonstances au sein de son annexe première. Cette énumération exhaustive permet aux opérateurs économiques de bénéficier d’une sécurité juridique nécessaire lors de la conception de leurs méthodes de distribution. Le fait d’imposer une signature immédiate en présence d’un coursier ne figure pas parmi les trente et une situations visées par ce texte. Dès lors, cette pratique ne saurait être interdite sans une évaluation précise et spécifique de ses éléments constitutifs par le juge du fond. Une telle qualification suppose alors de démontrer une altération significative de la liberté de choix du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement avisé. Le droit de l’Union privilégie ainsi une analyse factuelle plutôt qu’une condamnation de principe de ce mode de conclusion des contrats de télécommunications.
B. La suffisance de la mise à disposition préalable des informations contractuelles
La décision souligne que l’information communiquée au client doit être claire et adéquate pour garantir un consentement libre lors de la transaction commerciale. Dans cette espèce, les modèles de contrats étaient accessibles en ligne ou discutés par téléphone avant le passage de l’agent chargé de la livraison. Le consommateur a donc pu prendre connaissance du contenu des engagements proposés de manière autonome et préalable à la rencontre physique finale. La Cour juge que l’absence d’envoi individuel des documents à domicile ne suffit pas à caractériser un comportement agressif du professionnel concerné. Cette solution protège la validité des méthodes de vente à distance dès lors que l’accès aux clauses contractuelles demeure possible pour le public. L’existence d’une option d’information préalable neutralise le risque de surprise ou de précipitation induit par la brièveté de la présence du livreur.
II. La subordination de la pratique déloyale à l’exercice d’une pression concrète
A. L’identification d’une influence injustifiée altérant le consentement du consommateur
La pratique devient déloyale si elle repose sur une « influence injustifiée », définie comme l’utilisation d’une position de force pour faire pression sur autrui. Cette notion couvre « l’utilisation d’une position de force vis-à-vis du consommateur de manière à faire pression sur celui-ci » afin de limiter sa décision. Le droit européen prohibe tout comportement qui incommode le destinataire ou trouble sa réflexion au point de l’amener à un choix non souhaité. Les magistrats précisent que cette influence n’est pas nécessairement illicite en soi mais doit comporter une dimension active de conditionnement forcé. La simple présence du coursier demandant une signature rapide ne suffit pas à établir une telle pression sur le consentement du client moyen. Il appartient cependant aux tribunaux nationaux de vérifier si des manœuvres complémentaires n’ont pas été mises en œuvre pour forcer la décision.
B. La nécessaire évaluation souveraine des comportements perturbant la réflexion décisionnelle
L’agressivité commerciale est caractérisée lorsque des actes additionnels visent à limiter le temps de réflexion ou à menacer le consommateur de conséquences défavorables. La Cour cite l’exemple d’un livreur insistant lourdement sur la nécessité de signer sous peine de perdre une offre tarifaire particulièrement avantageuse. Le fait d’évoquer d’éventuelles pénalités contractuelles ou la suspension imminente des services actuels peut également constituer un élément de pression injustifiée et condamnable. Ces agissements déloyaux ont pour effet de vicier la liberté de choix en plaçant l’individu dans une situation d’inconfort ou de crainte émotionnelle. Le juge national doit donc analyser le contexte factuel global pour déterminer si l’opérateur a sciemment exploité une circonstance particulière pour influencer la vente. Cette approche casuistique garantit un niveau élevé de protection tout en respectant la liberté contractuelle des entreprises agissant avec une diligence professionnelle.