La Grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 12 mars 2014, un arrêt de principe concernant le droit de séjour dérivé. Cette décision traite de la situation de ressortissants d’États tiers, membres de la famille de citoyens de l’Union, lors du retour de ces derniers dans leur pays. Les litiges concernent des refus opposés par l’administration à des demandes de titres de séjour formulées par des conjoints étrangers après un séjour dans un pays voisin. Les autorités nationales estimaient que les dispositions européennes ne s’appliquaient pas aux citoyens résidant sur le territoire de l’État membre dont ils possèdent la nationalité habituelle.
Dans une première espèce, un ressortissant étranger avait épousé une citoyenne de l’Union avant de séjourner avec elle durant plusieurs années dans un État membre d’accueil. Par une décision du 15 novembre 2010, le ministre compétent a rejeté sa demande de document de séjour, décision confirmée par le Rechtbank ’s-Gravenhage le 7 juillet 2011. Une seconde affaire concernait un couple marié après le séjour de la citoyenne dans un autre État, dont la demande fut également écartée. Le ministre a interjeté appel devant le Raad van State d’un jugement du 11 novembre 2010 du Rechtbank ’s-Gravenhage ayant initialement fait droit au recours du requérant.
Le Raad van State a décidé de surseoir à statuer pour poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation du droit. La juridiction de renvoi s’interroge sur l’application de la directive 2004/38 et de l’article 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux membres de la famille. Elle souhaite savoir si un droit de séjour peut être reconnu au conjoint étranger lorsque le citoyen revient dans son État d’origine après un séjour effectif. La Cour devait ainsi préciser les conditions de durée et d’installation nécessaires pour que naisse un droit de séjour dérivé au profit du ressortissant tiers.
La Cour de justice affirme que l’article 21 du Traité impose l’octroi d’un droit de séjour dérivé si le séjour préalable présentait une effectivité suffisante. Elle précise que « l’effet utile des droits que le citoyen de l’Union tire de l’article 21 exige que la vie de famille puisse être poursuivie ». Cette protection vise à éviter qu’un citoyen ne soit dissuadé d’exercer sa liberté de circulation par la crainte de ne pouvoir maintenir son noyau familial. L’analyse portera d’abord sur l’application par analogie de la directive avant d’étudier l’exigence d’un séjour effectif comme condition de consolidation de la vie familiale.
I. L’application par analogie de la directive lors du retour dans l’État d’origine
A. L’inapplicabilité formelle de la directive au profit du droit primaire
La Cour rappelle d’emblée que les dispositions de la directive 2004/38 ne permettent pas de fonder un droit de séjour dérivé dans l’État membre d’origine. Les textes visent uniquement le citoyen qui « se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité » selon l’article 3. En l’espèce, le droit au séjour des membres de la famille ne peut donc pas être puisé directement dans les dispositions de ce texte de droit dérivé. La juridiction souligne que cette directive a pour seul objet de régir les conditions d’entrée et de séjour des citoyens dans d’autres États membres européens.
Le fondement juridique de la prétention des requérants doit alors être recherché dans l’article 21, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne directement applicable. « Le refus de reconnaissance d’un tel droit est de nature à porter atteinte à la liberté de circulation du citoyen de l’Union » précise alors la décision. Le droit primaire supplée ainsi les lacunes du droit dérivé pour garantir l’exercice effectif des libertés fondamentales garanties par les traités fondateurs de l’Union européenne. Cette approche permet de protéger le citoyen contre les obstacles potentiels que pourrait dresser sa propre législation nationale lors de son retour au pays.
B. L’alignement des conditions de retour sur les standards du droit de l’Union
L’arrêt établit que les conditions d’octroi du droit de séjour dérivé ne doivent pas être plus strictes que celles prévues par la directive 2004/38 elle-même. La Cour préconise une application par analogie des critères de séjour définis pour l’État d’accueil afin d’assurer une cohérence globale au système de libre circulation. Elle considère que le citoyen demeure la personne de référence dont les droits irriguent ceux de ses proches parents étrangers quel que soit l’État membre concerné. Cet alignement jurisprudentiel garantit une sécurité juridique indispensable aux familles mobiles souhaitant se réinstaller dans leur État d’origine après une expérience de mobilité transfrontalière.
L’analogie permet d’imposer aux autorités nationales le respect des standards européens concernant le regroupement familial des citoyens ayant fait usage de leur droit de circuler librement. Les États membres ne peuvent donc pas opposer des conditions de ressources ou de logement plus sévères que celles admises par le législateur de l’Union européenne. Cette solution assure que le retour du citoyen ne se traduise pas par une dégradation brutale de sa situation juridique ou de celle de son conjoint. La reconnaissance d’un tel droit dérivé constitue le corollaire nécessaire de la citoyenneté européenne qui ne doit pas rester une notion purement théorique.
II. L’exigence d’un séjour effectif pour la reconnaissance d’un droit dérivé
A. La nécessaire consolidation de la vie familiale dans l’État d’accueil
Le bénéfice du droit de séjour dérivé est strictement subordonné au caractère effectif de l’installation du citoyen et de sa famille dans l’État membre d’accueil. La Cour précise que « le séjour doit être caractérisé par une effectivité suffisante pour lui permettre de développer ou de consolider une vie de famille ». Cette condition implique que le citoyen ait séjourné conformément aux exigences de l’article 7 ou de l’article 16 de la directive 2004/38 durant sa mobilité. Une simple présence physique ne suffit pas si elle n’est pas accompagnée d’une réelle volonté d’établissement stable dans le pays de résidence temporaire.
L’installation effective témoigne d’une intégration sociale et familiale qui mérite d’être protégée lors du retour ultérieur du travailleur ou du citoyen inactif dans son foyer. La Cour insiste sur le fait que la vie familiale doit avoir été menée de manière continue et régulière pour justifier l’application de la protection européenne. Ce critère matériel permet de distinguer les situations de mobilité réelle des simples déplacements occasionnels dépourvus de conséquences durables sur la structure du groupe familial. Le droit de l’Union protège ainsi une réalité sociologique vécue plutôt qu’un statut juridique abstrait obtenu sans ancrage territorial véritable dans l’espace européen.
B. Le rejet des prétentions fondées sur des séjours de courte durée
La juridiction écarte fermement les séjours de courte durée, tels que les vacances ou les week-ends, du champ d’application de cette protection juridique particulière lors du retour. « Des séjours de courte durée […] ne satisfont pas auxdites conditions » affirme l’arrêt pour limiter le risque de détournement de la règle de droit par les justiciables. L’effet cumulatif de plusieurs passages brefs dans un autre État membre ne saurait suffire à créer un droit au séjour dérivé pour un conjoint étranger. Cette restriction prévient les pratiques abusives consistant à créer artificiellement les conditions de la mobilité pour contourner les règles nationales relatives à l’immigration.
Enfin, la Cour souligne que le droit de l’Union ne saurait couvrir des pratiques frauduleuses visant à obtenir un avantage indû en exploitant les libertés de circulation. La preuve d’une pratique abusive nécessite la réunion d’un élément objectif et d’un élément subjectif caractérisant la volonté de détourner l’objectif de la réglementation. Les autorités nationales conservent ainsi le pouvoir de vérifier la réalité du séjour et la sincérité de l’installation familiale avant de délivrer un titre de séjour. Cette vigilance administrative garantit l’équilibre entre la protection de la liberté de circulation et la souveraineté des États en matière de contrôle des frontières.