Le 12 octobre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt portant sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE. Plusieurs emprunteurs ont conclu en 2008 des contrats de prêt libellés en francs suisses auprès d’un établissement de crédit. Suite à la dépréciation de la monnaie nationale, le montant des remboursements a considérablement augmenté au détriment des consommateurs. Les requérants ont saisi le Tribunal régional de Vilnius en 2017 afin d’obtenir la conversion de leur dette en euros. Leurs demandes furent rejetées par le tribunal en 2018, puis confirmées en appel le 5 mai 2020 par la Cour d’appel de Lituanie. La Cour suprême de Lituanie a ultérieurement renvoyé l’affaire pour un nouvel examen du caractère abusif des clauses. La Cour d’appel de Lituanie a finalement déclaré les clauses abusives et a procédé à la modification du contrat le 2 septembre 2021. La Cour suprême, saisie d’un pourvoi, s’interroge sur la possibilité pour le juge de modifier une clause sans évaluer les conséquences d’une annulation. Le problème juridique réside dans l’articulation entre la volonté du consommateur de maintenir le contrat et l’obligation du juge d’écarter les clauses abusives. La Cour de justice affirme que le juge ne peut modifier le contrat sans constater au préalable qu’une annulation totale léserait gravement le consommateur. Cette décision souligne l’objectivité nécessaire de l’examen de survie du contrat tout en encadrant strictement les pouvoirs de substitution du magistrat national.
I. L’impératif d’objectivité dans l’appréciation de la survie contractuelle
A. L’indépendance de l’examen de la subsistance du contrat
La Cour rappelle que l’examen de la survie d’un contrat sans sa clause abusive constitue une analyse purement objective. Cette appréciation incombe au juge national au regard des seules règles de son droit interne, sans considération pour les souhaits des parties. « L’examen de la possibilité qu’un contrat subsiste sans la clause abusive concernée constitue un examen objectif qu’il incombe au juge national d’effectuer ». Le droit de l’Union impose ainsi une méthode rigoureuse afin de déterminer si le maintien de la convention demeure juridiquement possible. Le juge ne saurait s’écarter des critères légaux nationaux pour satisfaire la demande d’un consommateur souhaitant simplement réviser les termes contractuels.
B. Le cantonnement de la volonté du consommateur
La volonté exprimée par le contractant de maintenir la relation contractuelle est sans incidence sur l’obligation d’examen incombant à la juridiction. Si le consommateur peut s’opposer à la protection offerte par la directive, il ne peut imposer une modification créatrice au juge. La protection contre les clauses abusives ne permet pas de transformer le contrat au-delà de la suppression des stipulations litigieuses initiales. « Le contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives ». Le respect des équilibres contractuels initiaux impose cette réserve afin d’éviter que le juge ne devienne un simple rédacteur de substitution.
II. Le caractère subsidiaire de la sauvegarde du contrat par le juge
A. Le préalable obligatoire de l’évaluation du préjudice d’annulation
Le juge ne peut adopter des mesures de rétablissement de l’équilibre sans avoir constaté que l’annulation totale exposerait le consommateur à un préjudice majeur. Cette étape constitue une condition sine qua non pour toute intervention active sur le contenu des engagements réciproques des parties. « Le juge doit examiner et constater au préalable que l’invalidation dudit contrat dans son ensemble exposerait le consommateur concerné à des conséquences particulièrement préjudiciables ». Cette exigence protège l’emprunteur d’une insécurité juridique tout en limitant l’arbitraire judiciaire dans la révision des contrats de crédit. Une simple perte pécuniaire ne suffit pas à justifier la modification forcée du contrat au détriment de l’annulation de principe.
B. Les limites strictes aux pouvoirs de substitution du juge national
La possibilité de remplacer une clause par une disposition supplétive de droit interne reste une faculté exceptionnelle strictement encadrée par le droit européen. L’article 6 de la directive s’oppose à ce que le juge statue sur des mesures de restauration sans cette évaluation préalable approfondie. Cette solution interdit au magistrat de pallier les lacunes d’un contrat sur la seule base de principes généraux comme l’équité. « L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à ce qu’il soit remédié aux lacunes d’un contrat […] sur la seule base de dispositions nationales à caractère général ». La Cour préserve ainsi l’effet dissuasif de la sanction contre les professionnels en évitant toute révision trop aisée des contrats.