Cour de justice de l’Union européenne, le 12 octobre 2023, n°C-645/22

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 12 octobre 2023, une décision relative aux conséquences de la constatation du caractère abusif d’une clause. Des emprunteurs ont souscrit des contrats de prêt en devises étrangères dont le remboursement est devenu onéreux suite à une dépréciation monétaire très importante. Le tribunal régional de Vilnius a rejeté la demande initiale le 20 novembre 2018 avant que la Cour d’appel de Vilnius ne l’infirme partiellement. Les requérants sollicitaient le remplacement du franc suisse par l’euro au taux de change applicable lors de l’octroi initial de ces différents crédits. La Cour d’appel de Vilnius a fait droit à cette demande le 2 septembre 2021 en modifiant les contrats selon des principes généraux d’équité. La Cour suprême de Lituanie s’interroge sur la possibilité de modifier une clause abusive sans évaluer au préalable les conséquences de l’annulation du contrat entier. La question posée demande si la directive 93/13 s’oppose à une modification contractuelle directe sans analyse préalable de la survie de la convention litigieuse. La Cour répond par l’affirmative en imposant un examen objectif de la situation avant toute intervention correctrice sur les stipulations déclarées nulles et non avenues.

I. La primauté de l’analyse objective de la survie contractuelle

A. L’obligation d’écarter la clause abusive

L’article 6 de la directive impose au juge national d’écarter l’application des clauses abusives afin qu’elles ne lient plus le consommateur contractuellement protégé. Cette règle permet de rétablir la situation juridique qui aurait prévalu si la stipulation litigieuse n’avait jamais été intégrée au sein de la convention. « Les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs ». La protection offerte par ce système est impérative sauf si le consommateur exprime une opposition libre et éclairée après avoir été dûment informé. Le rétablissement de l’équilibre contractuel réel constitue la finalité première de ce mécanisme de sanction prévu expressément par le droit de l’Union.

B. L’impossibilité d’une survie contractuelle de plein droit

Le juge doit déterminer si le contrat peut subsister sans les clauses déclarées abusives selon les critères objectifs fixés par le droit national. Cette analyse juridique ne dépend pas de la volonté exprimée par les parties de maintenir ou de modifier les termes de leur engagement initial. « Le contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives ». Si le droit interne interdit la persistance de l’acte juridique amputé de ses éléments essentiels, son annulation globale devient alors juridiquement inévitable. La volonté du consommateur ne saurait prévaloir sur l’impossibilité matérielle de maintenir une convention vidée de sa substance économique et juridique principale.

II. Le formalisme protecteur conditionnant le pouvoir de substitution du juge

A. Le constat préalable de l’existence d’un préjudice grave

Le juge ne peut adopter des mesures de restauration de l’équilibre sans évaluer les effets concrets de l’annulation totale de l’acte juridique. Cette faculté exceptionnelle est réservée aux cas où l’anéantissement du contrat exposerait l’emprunteur à des conséquences particulièrement préjudiciables dépassant les simples pertes financières. « L’examen des conséquences entraînées par l’annulation de ces contrats constitue une obligation incombant au juge national ». Le magistrat doit constater l’existence d’une insécurité juridique majeure avant de pouvoir recourir à des dispositions nationales présentant un caractère supplétif. Cette exigence procédurale stricte garantit que l’intervention du juge reste proportionnée aux nécessités réelles de la protection de la partie considérée faible.

B. La limitation des pouvoirs de révision du juge national

Le juge national peut remplacer une clause annulée par une disposition supplétive uniquement pour éviter une annulation contractuelle trop dommageable. Cependant, il lui est rigoureusement interdit de compléter le contrat en révisant le contenu de la clause abusive sur le seul fondement de l’équité. La Cour s’oppose à ce que le juge statue sur les mesures de rétablissement sans examiner au préalable les conséquences d’une annulation globale. La substitution ne doit pas devenir un instrument permettant au juge de réécrire discrétionnairement les termes d’une relation contractuelle initialement déséquilibrée. Ce cadre normatif préserve l’effet dissuasif de la directive tout en assurant une sécurité juridique minimale à l’ensemble des cocontractants.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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