Cour de justice de l’Union européenne, le 12 septembre 2013, n°C-64/12

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 12 septembre 2013, une décision capitale relative à la détermination de la loi applicable au contrat de travail. Une salariée de nationalité allemande travaillait aux Pays-Bas depuis plus de onze ans pour le compte d’une entreprise établie sur le territoire de l’Allemagne. L’employeur a informé l’intéressée de la suppression de son poste et l’a invitée à rejoindre de nouvelles fonctions de direction situées dans une ville allemande. La salariée a alors saisi les juridictions néerlandaises afin de contester cette modification unilatérale et d’obtenir l’application de la législation sociale des Pays-Bas. Le Gerechtshof de Arnhem a confirmé, par un arrêt d’appel, que le droit néerlandais régissait la relation contractuelle en raison du lieu d’exécution. Saisie d’un pourvoi, la juridiction suprême des Pays-Bas a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 6 de la convention de Rome de 1980. Le juge national cherche à savoir si la longue durée d’exécution du travail dans un pays impose l’application systématique de la loi de cet État. La Cour énonce que le juge peut écarter la loi du pays d’accomplissement habituel du travail si le contrat présente des liens plus étroits. L’examen de la hiérarchie des critères de rattachement précédera l’analyse des modalités d’appréciation des liens les plus significatifs par le juge national.

I. La hiérarchie nuancée des critères de rattachement du contrat de travail

A. La prééminence du lieu d’exécution habituelle des fonctions

L’article 6 de la convention de Rome privilégie la loi du pays où le travailleur « accomplit habituellement son travail » en l’absence de choix. Ce critère de rattachement prioritaire répond à un objectif de protection de la partie considérée comme la plus faible d’un point de vue socio-économique. La Cour rappelle que cette disposition vise à garantir l’application des règles impératives du lieu où l’activité professionnelle est concrètement et principalement exercée. Dans le litige au principal, la salariée avait accompli ses missions aux Pays-Bas pendant une période ininterrompue de onze années consécutives avant le litige. Une telle stabilité géographique de la relation de travail désigne naturellement la loi néerlandaise comme la législation de référence pour régir le contrat individuel.

B. La subsidiarité du critère du siège de l’établissement

Le critère du siège de l’établissement qui a embauché le travailleur ne s’applique que si le lieu d’exécution habituelle ne peut être déterminé. La Cour de justice souligne que cette seconde règle de conflit possède un caractère strictement subsidiaire afin d’éviter l’application d’une loi trop lointaine. L’interprétation large du lieu de travail habituel réduit considérablement le champ d’application de la loi du siège de l’entreprise pour les travailleurs mobiles. Toutefois, la désignation de la loi de l’État d’exécution peut être évincée si l’ensemble des circonstances révèle un rattachement prépondérant à un autre pays. Cette clause de réserve permet d’ajuster la solution juridique lorsque le lieu de travail ne reflète pas le véritable centre de gravité contractuel.

II. La mise en œuvre de la clause d’exception par le juge national

A. La recherche globale du centre de gravité de la relation

Le juge peut écarter la loi du pays d’accomplissement du travail lorsqu’il ressort de l’ensemble des circonstances qu’il existe un « lien plus étroit ». Cette appréciation globale impose une analyse concrète de tous les éléments caractérisant la relation de travail sans se limiter au seul facteur spatial. La Cour précise que le magistrat ne doit pas déduire l’existence de liens étroits du simple nombre de circonstances désignant un État tiers déterminé. Il convient de rechercher si la situation contractuelle présente une proximité juridique plus forte avec une autre législation malgré la durée de l’activité locale. Le juge national jouit ainsi d’une marge d’appréciation pour identifier le système juridique le plus cohérent au regard de l’économie générale du contrat.

B. Le poids relatif des indicateurs sociaux et fiscaux

Parmi les éléments significatifs, il faut prendre en compte le pays où le salarié s’acquitte des impôts et des taxes afférents à ses revenus. L’affiliation à la sécurité sociale ainsi qu’aux régimes de retraite, d’assurance maladie et d’invalidité constitue également un indice majeur de rattachement juridique. La Cour mentionne aussi les paramètres liés à la fixation du salaire ou les références expresses à des dispositions contraignantes d’une loi nationale particulière. L’objectif de protection du travailleur ne doit pas nécessairement conduire à l’application systématique de la loi la plus favorable dans tous les cas. La prévisibilité de la loi applicable demeure une exigence essentielle qui autorise le juge à privilégier la loi allemande si les attaches structurelles prédominent.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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