Cour de justice de l’Union européenne, le 13 février 2025, n°C-612/23

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision de sa cinquième chambre, apporte des précisions majeures concernant la protection des utilisateurs de communications électroniques. Le litige porte sur l’interprétation de la directive relative au service universel face à des pratiques contractuelles liant durablement les abonnés lors d’un changement de formule. Deux clients avaient souscrit des avenants à leurs contrats respectifs afin d’obtenir de nouveaux terminaux mobiles moyennant des périodes d’engagement renouvelées de vingt-quatre et vingt-six mois.

Le contentieux débute devant le Landgericht de Düsseldorf, saisi par une association de défense des consommateurs, puis se poursuit devant l’Oberlandesgericht de Düsseldorf et le Bundesgerichtshof. La juridiction de renvoi, de nouveau saisie après une cassation, s’interroge sur l’application de la limitation temporelle des engagements aux contrats de prorogation comportant des modifications substantielles. Elle demande si la notion de « durée d’engagement initiale » mentionnée à l’article 30, paragraphe 5, de la directive 2002/22 s’applique exclusivement au premier contrat ou aux engagements subséquents. La Cour de justice décide que cette notion vise tant le contrat initial que les contrats suivants, interdisant ainsi toute période d’engagement supérieure à vingt-quatre mois.

I. La portée uniforme de la notion de durée d’engagement initiale

A. La neutralisation des disparités linguistiques par une approche téléologique

La Cour observe d’abord que les versions linguistiques de la directive divergent quant à la cible exacte de l’adjectif qualifiant l’engagement ou sa durée. Si certaines traductions semblent restreindre la règle au premier contrat signé, d’autres indiquent que le législateur n’a pas entendu distinguer les types de conventions. Pour résoudre cette contradiction, les juges rappellent que la disposition doit être interprétée selon « l’économie générale et la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ». Cette méthode permet de dépasser le sens littéral incertain pour privilégier les objectifs de protection du consommateur et de fluidité du marché.

L’objectif principal de la norme est de faciliter le changement de fournisseur afin de permettre aux abonnés de « tirer pleinement partie de l’environnement concurrentiel ». Restreindre la limitation temporelle au seul premier contrat risquerait de priver les utilisateurs de cette possibilité de mobilité pendant de très longues périodes contractuelles. La Cour refuse ainsi une interprétation restrictive qui permettrait aux opérateurs de contourner les règles de concurrence par le biais de renouvellements successifs excessifs.

B. L’inclusion des contrats subséquents dans le champ de la protection

La décision souligne que la protection juridique ne saurait être moins élevée lorsqu’un client consent à des modifications contractuelles avec son prestataire habituel. Le juge européen relève que l’expérience acquise par le consommateur lors du premier contrat devient sans pertinence si les nouvelles prestations sont d’une nature différente. Tel est le cas lorsque l’avenant comporte des « modifications concernant des clauses essentielles par rapport au premier contrat », notamment sur la tarification ou le contenu technique.

L’arrêt consacre ainsi une interprétation large de la notion de durée initiale en l’étendant à tout nouvel engagement pris entre les mêmes parties contractantes. Cette solution garantit que chaque nouveau cycle contractuel respecte le plafond temporel imposé par le droit de l’Union pour préserver la liberté de choix. Cette clarification assure une application uniforme du droit européen sans dépendre des concepts ou des dénominations juridiques variables propres aux différents ordres juridiques nationaux.

II. L’encadrement strict des périodes de fidélisation contractuelle

A. La préservation de la mobilité du consommateur sur le marché

La Cour rappelle que l’élimination des obstacles juridiques ou techniques au changement de prestataire constitue une priorité pour le bon fonctionnement du marché intérieur. Bien que l’imposition de périodes minimales raisonnables demeure possible, elle ne doit jamais aboutir à une entrave disproportionnée à la résiliation par l’abonné. Un opérateur ne saurait donc imposer « une durée plus longue que la durée d’engagement maximale » fixée par la directive, quel que soit le moment de la signature.

Cette analyse protège le consommateur contre la captivité commerciale qui résulterait d’une accumulation de périodes d’engagement au sein d’une même relation contractuelle de longue durée. La solution retenue favorise la compétitivité entre les entreprises en empêchant le verrouillage artificiel de la clientèle par des mécanismes de prorogation automatique ou négociée. En fixant ce cadre, le juge garantit que l’intérêt économique du prestataire ne prime pas sur le droit fondamental à la mobilité des utilisateurs.

B. L’inefficacité des montages contractuels prolongeant l’engagement

L’arrêt précise que la limitation à vingt-quatre mois s’impose même si le contrat subséquent est signé et mis à exécution avant l’expiration du premier engagement. La Cour neutralise ainsi les stratégies commerciales visant à cumuler les durées résiduelles avec de nouvelles périodes minimales de fidélisation pour dépasser le plafond légal. Une telle pratique est jugée incompatible avec l’exigence de clarté et de protection renforcée voulue par le législateur européen en faveur des citoyens.

La juridiction affirme que la durée d’engagement ne peut excéder le seuil prévu, indépendamment des avantages matériels, comme l’achat d’un téléphone, concédés lors de la renégociation. Cette décision impose une vigilance accrue aux juges nationaux lors de l’examen des conditions générales de vente utilisées par les grands opérateurs de télécommunications. Le dispositif de l’arrêt assure que « ce contrat subséquent ne peut pas imposer de durée d’engagement excédant 24 mois », garantissant ainsi une sécurité juridique totale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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