Cour de justice de l’Union européenne, le 13 septembre 2018, n°C-358/16

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 13 septembre 2018, précise l’étendue du secret professionnel opposable par les autorités de surveillance financière. Un administrateur de société a fait l’objet d’une injonction de démissionner après que l’autorité nationale de surveillance a constaté la perte de son honorabilité professionnelle. L’intéressé a sollicité la communication de documents confidentiels détenus par cette autorité publique afin d’assurer sa défense dans le cadre d’un recours en annulation.

Le tribunal administratif de Luxembourg a d’abord ordonné partiellement la communication des pièces avant que la Cour administrative de Luxembourg ne soit saisie du litige en appel. Cette dernière juridiction a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur l’articulation entre le secret professionnel et les droits fondamentaux. Le débat porte sur l’interprétation de la directive 2004/39/CE concernant les marchés d’instruments financiers face aux exigences de la Charte des droits fondamentaux.

La juridiction nationale demande si l’exception au secret professionnel pour les cas relevant du droit pénal s’applique à une mesure administrative d’interdiction d’exercer une fonction. Elle souhaite également savoir comment concilier l’obligation de confidentialité de l’autorité de surveillance avec le droit à un recours effectif et à un procès équitable. La question centrale réside dans la définition de la matière pénale et dans les modalités d’accès au dossier administratif par l’administré sanctionné.

La Cour de justice affirme que les « cas relevant du droit pénal » visent exclusivement les poursuites ou sanctions menées selon les règles du droit pénal national. Elle précise que l’obligation de secret professionnel doit néanmoins être conciliée avec le respect des droits de la défense par un examen juridictionnel au cas par cas. Cette décision impose au juge national une mise en balance des intérêts en conflit pour garantir une protection juridictionnelle effective aux administrés.

I. Une interprétation rigoureuse de l’exception de matière pénale

A. L’exclusion fonctionnelle des mesures administratives de surveillance

La Cour de justice adopte une lecture stricte de la directive en isolant les mesures de police administrative du champ d’application du droit pénal classique. Elle rappelle que les mesures prises suite au constat d’une perte d’honorabilité professionnelle relèvent des « procédures relatives au retrait d’un agrément » prévues par le texte européen. Ces décisions administratives ne sauraient être assimilées à des sanctions pénales au sens de l’article 54 de la directive malgré leur caractère particulièrement grave.

Cette qualification juridique repose sur une distinction claire entre les pouvoirs de surveillance continue et le droit des États membres d’appliquer des sanctions pénales nationales. La Cour précise que la directive vise la « transmission ou l’utilisation d’informations confidentielles à des fins de poursuites ainsi que de sanctions respectivement menées conformément au droit pénal national ». Le juge européen refuse ainsi d’étendre l’exception de confidentialité aux procédures administratives de retrait d’honorabilité qui demeurent soumises au principe général du secret.

B. La protection du système d’échange d’informations confidentielles

Le maintien d’un secret professionnel étendu répond à l’objectif de garantir le bon fonctionnement de la surveillance des marchés d’instruments financiers dans l’Union. La Cour souligne que les autorités compétentes doivent pouvoir échanger des informations sensibles sans craindre une divulgation publique qui compromettrait la confiance nécessaire entre les régulateurs. Cette règle protège non seulement les intérêts spécifiques des entreprises surveillées mais également l’intérêt général lié à la stabilité globale des marchés financiers européens.

L’absence d’une telle confidentialité serait de nature à « compromettre la transmission sans heurt des informations confidentielles nécessaires à l’exercice de l’activité de surveillance » des entités. Le secret professionnel constitue donc le principe général tandis que la divulgation d’informations demeure une exception limitativement énumérée par le législateur de l’Union européenne. Cette protection demeure la pierre angulaire du contrôle efficace des entreprises d’investissement agissant dans un contexte transfrontalier de plus en plus complexe.

II. Une conciliation nécessaire avec les garanties procédurales fondamentales

A. La détermination de la pertinence objective des pièces sollicitées

L’obligation de secret professionnel ne saurait constituer un obstacle absolu aux droits de la défense garantis par les articles 47 et 48 de la Charte. La Cour de justice délègue au juge national le soin de vérifier si les informations sollicitées présentent un « lien objectif avec les griefs retenus » contre l’administré. Cette étape préliminaire permet d’écarter les demandes de communication qui ne seraient pas indispensables à la contestation de la décision administrative de retrait d’agrément.

Le droit d’accès au dossier implique que l’intéressé puisse examiner la totalité des documents d’instruction susceptibles d’être pertinents pour sa défense devant la juridiction. Il appartient désormais à l’autorité nationale de surveillance de justifier précisément pourquoi une pièce réclamée par le requérant ne doit pas figurer au dossier administratif. Cette exigence de transparence limitée assure que l’administré dispose des éléments nécessaires pour exercer un recours effectif contre un acte faisant grief à ses intérêts.

B. L’arbitrage juridictionnel entre confidentialité et exercice de la défense

En cas de conflit persistant, le juge doit mettre en balance l’intérêt de la personne sanctionnée et l’intérêt général au maintien de la confidentialité des informations. Cet arbitrage nécessite une analyse concrète des circonstances de l’espèce afin d’éviter une intervention démesurée dans le fonctionnement des autorités de surveillance financière. La Cour de justice impose une méthode de conciliation proportionnée qui préserve la substance même des droits de la défense sans ruiner le secret professionnel.

La juridiction nationale doit décider de la communication de chaque information sollicitée après avoir évalué les risques liés à la divulgation pour les tiers concernés. Cette solution garantit que le droit à un procès équitable soit respecté sans pour autant vider de son sens l’obligation de réserve imposée par la directive. Le juge devient ainsi le garant de l’équilibre entre la protection des marchés financiers et la protection des droits individuels fondamentaux des administrés.

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Hassan KOHEN
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