La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 6 octobre 2025, précise l’étendue de la responsabilité des gestionnaires d’infrastructures ferroviaires. Une entreprise ferroviaire privée a subi le déraillement de ses locomotives sur un réseau géré par un opérateur national étranger au sein d’une gare frontalière. Le litige porte sur l’indemnisation des frais de location de matériels de remplacement engagés durant la période de réparation des véhicules initialement endommagés. La juridiction de première instance a rejeté la demande tandis que la juridiction d’appel a retenu une interprétation extensive du dommage matériel indemnisable. L’opérateur d’infrastructure a formé un recours devant l’Oberster Gerichtshof de Vienne qui a décidé de surseoir à statuer pour interroger le juge de l’Union. La question porte sur l’inclusion des préjudices pécuniaires dans les dommages matériels et sur la validité du renvoi contractuel aux règles de responsabilité de droit interne. L’interprétation restrictive du préjudice matériel garanti précède l’analyse de la validité des extensions conventionnelles de responsabilité fondées sur le droit national applicable au contrat.
I. La délimitation restrictive de la responsabilité objective pour dommages matériels
A. L’exclusion des préjudices pécuniaires dérivés de la substance des biens
L’article 8 paragraphe 1 de l’appendice E dispose que le gestionnaire est responsable pour les « dommages matériels (destruction ou avarie des biens mobiliers et immobiliers) ». La Cour souligne que cette responsabilité sans faute du gestionnaire de l’infrastructure impose nécessairement une interprétation stricte des termes employés par le législateur international. L’emploi des parenthèses démontre que la garantie « se limite aux dommages causés à la substance même du bien endommagé et ne s’étend pas aux préjudices pécuniaires ». Dès lors, les frais engagés pour louer des locomotives de remplacement constituent un dommage pécuniaire distinct qui ne relève pas de la définition des dommages matériels.
B. La préservation de l’équilibre du transport ferroviaire international
Le rapport explicatif confirme cette lecture en précisant que la responsabilité pour dommages matériels n’inclut pas la compensation des pertes financières subies par l’entreprise ferroviaire. Le juge européen valide ainsi une séparation hermétique entre la destruction physique d’un actif et les coûts opérationnels découlant de son indisponibilité durant les réparations. Chaque catégorie de dommage reste exclusive de l’autre afin de délimiter précisément l’exposition financière du gestionnaire d’infrastructure agissant dans un cadre de responsabilité objective. Cette limitation de la responsabilité légale n’empêche toutefois pas les opérateurs économiques de rechercher une protection complémentaire par la voie de stipulations contractuelles spécifiques.
II. La préservation de l’autonomie contractuelle par le recours au droit national
A. La validité des clauses d’extension de responsabilité vers l’ordre interne
L’article 4 de l’appendice E prévoit que les parties peuvent assumer une responsabilité plus lourde que celle fixée par les règles uniformes du transport international. La Cour reconnaît aux contractants la liberté de définir les modalités de cette extension, que ce soit par une clause rédigée ou par un renvoi global. Rien ne s’oppose à ce que la volonté des parties s’exprime par la désignation d’un corpus législatif national pour régir les situations non couvertes par la convention. Le renvoi aux lois nationales permet ainsi d’élargir le spectre de l’indemnisation sans déroger au caractère impératif des garanties minimales offertes par le texte international.
B. La compatibilité d’un régime de faute avec le socle de garantie objective
Cette extension peut valablement instaurer un régime de responsabilité fondé sur la faute venant ainsi compléter l’obligation de garantie objective imposée par l’ordre juridique européen. Le droit national s’applique alors de manière additive sans porter atteinte aux droits essentiels que les entreprises ferroviaires tirent directement des dispositions de l’appendice conventionnel. La décision consacre une articulation cohérente entre l’uniformité des règles de transport et la nécessaire souplesse laissée à la discrétion des opérateurs dans leurs relations. Cette solution favorise l’intégration du secteur ferroviaire tout en respectant la liberté des acteurs de moduler contractuellement l’étendue de leurs obligations de réparation financière.