La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 6 octobre 2025, un arrêt fixant les règles de l’indemnisation en droit de la concurrence. Une partie demanderesse a saisi la juridiction civile espagnole afin d’obtenir réparation du préjudice causé par une entente prohibée par le droit de l’Union. Après un accueil partiel de sa demande par les premiers juges, la question de la charge finale des dépens est devenue un point de litige central. La juridiction de renvoi a donc sollicité l’interprétation de la Cour de justice sur la compatibilité de ses règles nationales avec le principe d’effectivité. Elle demande également si le juge peut estimer le dommage lorsque la défense fournit des données ou si la victime n’attaque qu’un seul responsable. La Cour dispose que les textes « ne s’opposent pas à une règle » nationale de partage des dépens, tout en encadrant le pouvoir d’estimation du juge. L’étude portera d’abord sur la répartition des frais de justice, avant d’analyser les conditions rigoureuses permettant au juge de procéder à l’estimation du préjudice.
I. La validation de la répartition des dépens sous réserve d’un comportement loyal
A. La préservation de l’autonomie procédurale en cas de succès partiel
L’article 101 du traité et la directive 2014/104 « ne s’opposent pas à une règle de procédure civile nationale » prévoyant le partage des dépens. Cette solution s’applique lorsque la demande de dommages et intérêts n’est que partiellement admise, laissant chaque partie supporter ses propres frais de conseil. La Cour reconnaît ainsi une marge de manœuvre aux États membres pour organiser le règlement des frais communs de justice selon leur droit interne. Cette règle ne contrevient pas au principe d’effectivité, dès lors que la charge financière pesant sur la victime ne rend pas son action impossible. L’équilibre trouvé préserve l’accès au juge tout en limitant les risques de demandes d’indemnisation excessives ou manifestement déconnectées de la réalité du dommage.
B. L’exception nécessaire du comportement abusif pour garantir l’effectivité
Le principe de partage des frais connaît toutefois une limite impérative lorsque le comportement de l’une des parties s’avère manifestement abusif durant le procès. Le juge national doit veiller à ce que l’application des règles de procédure ne serve pas à décourager indûment les victimes d’infractions de concurrence. La mention expresse du « comportement abusif » permet d’écarter la règle de droit commun pour sanctionner une partie dont les agissements nuisent à la justice. Cette réserve assure que le droit à réparation intégrale, pilier de la directive de 2014, demeure effectif malgré les particularités des procédures civiles nationales. Après avoir clarifié le régime des dépens, la Cour précise ensuite les conditions permettant au juge de suppléer l’absence de preuves chiffrées précises.
II. La délimitation rigoureuse du pouvoir d’estimation judiciaire du dommage
A. La subordination de l’estimation à l’impossibilité de preuve précise
L’article 17 de la directive exige que l’existence du préjudice soit établie avant toute velléité d’estimation forfaitaire par le tribunal saisi du litige. L’estimation n’est permise que s’il est « pratiquement impossible ou excessivement difficile » de quantifier le dommage avec la précision normalement requise par le droit. Cette difficulté doit s’apprécier globalement, en tenant compte du « caractère infructueux de démarches telles que la demande de production de preuves » prévue au texte. Le juge ne peut donc pas se dispenser d’une analyse factuelle rigoureuse avant de conclure à l’impossibilité de mesurer exactement l’ampleur du surcoût imposé. La faculté de procéder à une estimation reste subsidiaire par rapport à l’administration classique de la preuve par les parties à l’instance civile initiale.
B. L’exclusion des critères étrangers à la difficulté de quantification
La mise à disposition de données par la défense pour contredire une expertise n’est pas, en elle-même, un critère pertinent pour autoriser l’estimation judiciaire. De même, le fait que la victime choisisse d’attaquer un seul des auteurs de l’infraction ne modifie pas les conditions d’ouverture du pouvoir d’estimation. Ces éléments procéduraux sont jugés sans influence sur le constat technique de l’impossibilité pratique de quantifier le préjudice de manière précise par le juge. La Cour de justice rappelle ainsi que l’estimation est un remède à une impasse probatoire, et non une mesure de faveur envers l’un des plaideurs. La rigueur de ce cadre garantit que le pouvoir du juge ne devienne pas arbitraire au détriment de la sécurité juridique des opérateurs économiques concernés.