Cour de justice de l’Union européenne, le 16 février 2023, n°C-635/20

La Cour de justice, par un arrêt de sa première chambre rendu le 15 décembre 2022, se prononce sur le régime linguistique des concours de recrutement. Cette décision traite de la légalité de la limitation des langues de travail imposée par l’administration lors de la sélection de nouveaux agents européens. Un office de sélection publia deux avis de concours généraux pour la constitution de listes de réserve d’enquêteurs destinés à intégrer un service de lutte antifraude. Ces avis exigeaient une connaissance approfondie d’une langue officielle et une maîtrise satisfaisante de l’allemand, de l’anglais ou du français comme seconde langue obligatoire. Des recours en annulation furent introduits par deux États membres devant le Tribunal contre ces avis de concours au motif d’une discrimination linguistique. Le Tribunal accueillit ces demandes en septembre 2020, annulant les avis car la différence de traitement fondée sur la langue n’était pas objectivement justifiée. L’institution concernée forma alors un pourvoi devant la Cour de justice en invoquant plusieurs erreurs de droit commises par les premiers juges du fond. Le litige porte sur la capacité d’une autorité à restreindre le choix linguistique des candidats en invoquant l’intérêt du service et l’efficacité opérationnelle. La Cour de justice rejette le pourvoi et confirme l’annulation des avis de concours en raison d’une absence de preuves concrètes justifiant la mesure.

**I. La confirmation de l’exigence de justification objective des restrictions linguistiques.**

L’arrêt réaffirme que les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour organiser leurs services et définir les critères de capacité des futurs agents recrutés. Ce pouvoir discrétionnaire permet de fixer les conditions de recrutement en fonction des besoins spécifiques liés aux emplois à pourvoir dans l’intérêt du service.

**A. L’encadrement strict du pouvoir discrétionnaire des institutions.**

L’exercice de cette compétence est toutefois limité par le respect impératif du principe de non-discrimination fondé sur la langue énoncé dans le statut des fonctionnaires. La Cour rappelle que « les différences de traitement fondées sur la langue […] ne peuvent être admises que si une telle limitation est objectivement justifiée ». La sélection des langues doit reposer sur des critères clairs, objectifs et prévisibles permettant un contrôle juridictionnel effectif de la légalité des actes. Les magistrats soulignent que l’administration doit prouver que la restriction est apte à répondre à des besoins réels relatifs aux fonctions exercées par les recrues. Le respect de l’égalité de traitement entre les candidats de l’Union européenne prime ainsi sur les simples facilités d’organisation de l’autorité investie du pouvoir de nomination.

**B. L’insuffisance de la motivation générale tirée de l’intérêt du service.**

L’intérêt du service et la nécessité d’être immédiatement opérationnel constituent des objectifs légitimes mais ne sauraient justifier à eux seuls une restriction linguistique arbitraire. La Cour juge que la formulation vague et générale des besoins de l’administration ne suffit pas à établir la nécessité d’utiliser exclusivement trois langues. L’arrêt précise qu’il ne « saurait être présumé, sans davantage d’explications, qu’un fonctionnaire nouvellement recruté, qui ne maîtrise aucune [des langues], ne serait pas capable de fournir un travail utile ». Les justifications doivent être étayées par des indications précises montrant un lien nécessaire entre les fonctions d’enquêteur et les langues sélectionnées par l’office. Cette approche refuse toute présomption automatique d’utilité de certaines langues au détriment des autres langues officielles reconnues par les traités de l’Union.

**II. La rigueur probatoire imposée par la protection du principe de non-discrimination.**

La solution adoptée par la Cour impose une charge de la preuve exigeante à l’autorité qui souhaite restreindre le pluralisme linguistique lors des procédures de sélection. Cette rigueur garantit que les limitations ne sont pas le fruit d’une pratique administrative ancienne mais répondent à des nécessités fonctionnelles réelles et actuelles.

**A. Le contrôle concret de l’adéquation entre les fonctions et les langues requises.**

Le juge vérifie l’exactitude matérielle et la fiabilité des éléments produits par l’administration pour démontrer l’utilisation effective des langues de travail revendiquées au quotidien. L’institution avait fourni des documents internes et des données statistiques sur les connaissances linguistiques du personnel pour justifier la sélection des trois langues précitées. La Cour constate cependant que ces éléments ne démontrent pas un lien suffisant entre les procédures décisionnelles générales et les tâches quotidiennes des enquêteurs. Elle relève également que « seule une connaissance satisfaisante de la langue anglaise pourrait être considérée comme conférant un avantage » pour la communication interne du service. L’inclusion automatique de l’allemand et du français, sans démonstration de leur utilité réelle pour les fonctions spécifiques, est donc jugée disproportionnée par les juges.

**B. Les perspectives d’un multilinguisme effectif au sein de la fonction publique.**

Cet arrêt consacre une protection renforcée du multilinguisme en empêchant la cristallisation de privilèges linguistiques qui ne reposeraient sur aucune base légale ou nécessité technique. La Cour confirme que le choix d’une langue de travail nécessite une justification objective et individuelle au regard des spécificités de chaque emploi considéré. Les données statistiques générales sur la diffusion des langues en Europe ne suffisent pas à justifier une différence de traitement au sein d’un concours. Cette jurisprudence incite les autorités à mieux documenter leurs besoins linguistiques réels avant de publier des avis de concours restreignant l’accès aux fonctions. La décision assure ainsi une base géographique la plus large possible pour le recrutement des agents possédant les plus hautes qualités de compétence professionnelle.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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