Cour de justice de l’Union européenne, le 16 février 2023, n°C-638/22

Le 16 février 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision capitale concernant l’enlèvement international d’enfants au sein de l’espace judiciaire européen. Une mère a déplacé ses deux enfants mineurs d’Irlande vers la Pologne pour des vacances avant de décider de s’y installer définitivement sans l’accord paternel. Le père a saisi le Tribunal régional de Wrocław le 18 novembre 2021 pour obtenir le retour des mineurs en Irlande selon la Convention de la Haye. Cette juridiction a ordonné le retour des mineurs le 15 juin 2022 avant que la Cour d’appel de Varsovie ne confirme cette décision le 21 septembre. Cependant, certaines autorités nationales ont sollicité la suspension automatique de cette exécution en vertu d’une loi nationale permettant un sursis de plein droit sans motivation particulière. La juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité de cette faculté de suspension automatique avec l’exigence de célérité imposée par le Règlement Bruxelles II bis. La question posée est de savoir si l’article 11 paragraphe 3 du règlement s’oppose à une mesure nationale suspendant l’exécution d’une décision définitive de retour. La Cour de justice affirme que le droit de l’Union européenne fait obstacle à une telle législation nationale privant de son effet utile la procédure de retour immédiat. L’analyse de cette décision révèle d’abord l’affirmation d’un impératif de célérité s’étendant à l’exécution forcée avant de souligner la nécessaire primauté du droit de l’Union.

**I. L’impératif de célérité face aux mécanismes nationaux de suspension**

**A. La consécration d’une obligation de rapidité s’étendant à l’exécution**

La Cour rappelle que les juridictions compétentes doivent adopter une décision de retour dans un délai particulièrement bref ne dépassant pas, en principe, six semaines. Cette exigence de rapidité découle directement de l’article 11 paragraphe 3 du règlement n° 2201/2003, lequel impose l’usage des procédures nationales les plus expéditives. Le juge européen précise que l’impératif de célérité régit non seulement l’adoption formelle de la décision, mais s’étend nécessairement à la phase matérielle de son exécution. « L’article 11, paragraphe 3, serait privé d’effet utile si le droit national permettait de suspendre l’exécution d’une décision définitive ordonnant le retour d’un enfant ». Cette exigence de célérité se heurte toutefois aux dispositions procédurales nationales qui prévoient une suspension automatique de l’exécution sans fondement factuel précis.

**B. L’incompatibilité d’un sursis à l’exécution de plein droit et non motivé**

Le droit polonais permettait à des autorités non judiciaires d’obtenir une suspension automatique de deux mois par une simple demande dépourvue de toute motivation juridique. Cette faculté de paralyser l’exécution d’une décision de justice définitive sans contrôle juridictionnel contredit frontalement les objectifs de promptitude poursuivis par le législateur de l’Union. La Cour de justice souligne qu’une telle suspension de plein droit excède à elle seule le délai global imparti pour l’adoption d’une décision au fond. Le caractère arbitraire du sursis empêche toute vérification de l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant légalement un report du retour immédiat du mineur vers sa résidence habituelle. L’incompatibilité de ces suspensions automatiques avec le règlement européen conduit la Cour à examiner la protection des droits fondamentaux de l’enfant et du parent.

**II. La primauté du droit de l’Union et la protection des droits fondamentaux**

**A. La préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’accès au juge**

Le Règlement Bruxelles II bis doit être interprété à la lumière de la Charte des droits fondamentaux, notamment son article 24 relatif aux droits de l’enfant. La Cour insiste sur la nécessité pour un mineur d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents sans délais excessifs. Les retards injustifiés dans la mise en œuvre du retour sont susceptibles de causer des préjudices irréparables à la relation entre l’enfant et le parent délaissé. Le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte s’oppose à ce qu’une autorité publique empêche durablement l’exécution d’une décision judiciaire. « Le droit à un recours effectif serait illusoire si l’ordre juridique d’un État membre permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie ». Le respect de l’intérêt supérieur du mineur et du droit au juge impose alors une conséquence juridique majeure quant à l’application des normes internes litigieuses.

**B. L’obligation pour le juge national d’écarter la norme interne contraire**

Le principe de primauté impose au juge national d’assurer le plein effet du droit de l’Union en laissant inappliquée toute réglementation nationale contraire, même postérieure. L’article 11 paragraphe 3 du règlement énonce une obligation de résultat claire et précise qui ne souffre aucune condition d’application de la part des États membres. La Cour de Varsovie est donc tenue d’écarter les dispositions législatives nationales permettant la suspension automatique pour garantir l’exécution immédiate du retour en Irlande. Le juge interne doit privilégier les mécanismes de protection déjà existants, tels que le sursis motivé en cas de risque grave de danger physique ou psychique. Cette décision confirme la force contraignante des délais européens face aux tentatives étatiques de ralentir les processus d’exécution des décisions de retour transfrontalières.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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