La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 16 juillet 2020, une décision majeure relative aux procédures communes d’octroi de la protection internationale. Le litige portait sur la légalité d’une décision d’irrecevabilité prise par une autorité administrative nationale sans avoir organisé d’entretien personnel préalable avec le demandeur. Ce dernier, d’origine érythréenne, avait sollicité l’asile après avoir déjà obtenu un statut de réfugié dans un autre État membre quelques années auparavant. L’autorité compétente a rejeté sa demande au motif qu’il provenait d’un pays tiers sûr sans lui permettre d’exposer ses arguments de vive voix. Les juridictions de première instance et d’appel ont confirmé cette position malgré l’absence flagrante de cette formalité substantielle prévue par le droit européen. Saisie d’un recours en révision, la Cour administrative fédérale a décidé d’interroger le juge de l’Union sur les conséquences juridiques de cette omission procédurale. Le problème de droit consistait à savoir si le défaut d’entretien personnel en première instance pouvait être régularisé lors de la phase contentieuse devant un tribunal. La Cour de justice affirme que les articles 14 et 34 de la directive 2013/32 s’opposent à une règle nationale ignorant un tel vice de procédure. L’annulation de la décision administrative s’impose, à moins que le juge puisse lui-même garantir une audition respectant strictement les exigences de la directive. Cette solution consacre l’importance capitale des garanties procédurales minimales (I) tout en encadrant rigoureusement les modalités de leur éventuelle régularisation juridictionnelle (II).
I. L’affirmation d’une garantie procédurale fondamentale au stade de la première instance
A. Le caractère impératif de l’entretien personnel préalable
La directive prévoit de manière non équivoque que « avant que l’autorité responsable de la détermination ne se prononce, la possibilité est donnée au demandeur d’avoir un entretien personnel ». Cet impératif constitue un principe de base et une garantie fondamentale dont le respect ne saurait être laissé à la libre discrétion des administrations nationales. Le texte impose ainsi une obligation claire aux États membres de permettre au demandeur d’exposer son point de vue sur sa situation particulière avant toute décision. La Cour souligne avec force « l’importance fondamentale qu’il accorde à un tel entretien personnel pour la procédure d’asile » au sein de l’espace de liberté. Cette étape administrative garantit que les décisions sont prises sur une base factuelle solide et actualisée conformément aux objectifs de célérité et d’efficacité. L’absence d’une telle opportunité d’échange direct entache la procédure d’une irrégularité grave qui ne peut être qualifiée de simple formalité accessoire.
B. La finalité protectrice de l’audition face au risque de traitements inhumains
L’entretien sur la recevabilité permet avant tout de vérifier si le demandeur ne risque pas de subir des traitements contraires à la dignité humaine. Cette audition donne l’occasion d’exposer les éléments caractérisant sa situation spécifique afin d’exclure tout « risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant ». L’autorité responsable de la détermination doit ainsi évaluer le degré de vulnérabilité de l’intéressé par rapport aux conditions de vie dans l’État de premier accueil. La Cour précise que cet échange permet d’apprécier la réalité de défaillances systémiques ou de circonstances exceptionnelles propres au parcours personnel de chaque candidat à l’exil. Le juge de l’Union rappelle que le seuil de gravité est atteint lorsque la personne se trouve dans une situation de dénuement matériel extrême. La protection des droits fondamentaux garantis par la Charte impose donc une écoute attentive des craintes exprimées par le demandeur lors d’un entretien formel.
II. L’encadrement strict de la régularisation d’un vice de procédure par le juge
A. L’insuffisance du contrôle juridictionnel classique sans audition personnelle
La possibilité d’exposer ses arguments par écrit lors d’un recours contentieux ne suffit pas à compenser l’absence d’entretien oral devant l’administration. La Cour rejette l’idée que des observations écrites ou une instruction d’office par le tribunal puissent pallier le défaut de cette garantie fondamentale. Elle affirme que ces modalités « ne sauraient suffire à pallier l’absence d’audience » pour garantir l’effectivité des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne. Le législateur a entendu imposer des règles spécifiques et détaillées quant à la conduite de l’entretien pour assurer une détermination correcte des besoins de protection. L’omission de cette étape ne peut être ignorée au seul motif que le résultat final de la procédure administrative aurait été identique. La validité de la décision d’irrecevabilité dépend ainsi du respect scrupuleux des conditions de forme qui encadrent l’expression directe du demandeur devant les autorités.
B. Le rétablissement nécessaire de la légalité par l’annulation ou une audition conforme
Le juge national est tenu d’annuler la décision viciée s’il ne peut pas assurer lui-même une audition conforme aux exigences de la directive. Cette régularisation juridictionnelle n’est possible que si le requérant peut exposer ses arguments « lors d’une audition respectant les conditions et les garanties fondamentales applicables ». Le tribunal doit alors garantir la confidentialité de l’échange et la présence d’un interprète compétent capable d’assurer une communication appropriée entre les parties. Si les règles de procédure nationale ne permettent pas au juge de respecter l’ensemble de ces garanties de fond, le renvoi de l’affaire s’impose. La Cour de justice limite ainsi l’autonomie procédurale des États membres en exigeant une protection équivalente à celle prévue lors de la phase administrative initiale. Cette exigence de conformité assure que le droit d’être entendu ne devienne pas une simple illusion procédurale au détriment des demandeurs de protection.