La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 16 octobre 2019, précise l’articulation des exonérations fiscales prévues par la directive 2003/96. Une société exploitant une unité de cogénération utilisait du gaz naturel pour produire simultanément de la chaleur et de l’électricité nécessaire à son activité industrielle. Les livraisons de gaz ont été soumises à une taxe intérieure de consommation nationale entre les années 2004 et 2008 par l’administration fiscale. La société a sollicité le remboursement de cette taxe devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a rejeté sa demande le 17 juillet 2013. La cour administrative d’appel de Versailles a confirmé ce jugement le 15 mars 2016 en jugeant le régime de taxation globalement conforme. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État a interrogé la Cour de justice sur la possibilité de maintenir cette taxation durant une période transitoire. La question était de savoir si l’absence de taxe sur l’électricité produite autorisait l’État à taxer les produits énergétiques utilisés pour cette production. La Cour écarte cette possibilité, affirmant que l’exonération des intrants énergétiques s’impose de manière inconditionnelle en dehors des exceptions limitativement énumérées par le texte. L’étude de cette décision permet d’analyser l’exigence d’une exonération inconditionnelle des produits énergétiques intrants (I) avant d’observer l’inefficience des régimes dérogatoires durant la transition fiscale (II).
I. L’exigence de l’exonération inconditionnelle des produits énergétiques intrants
A. La prévention impérative de la double taxation de l’énergie
L’article 14 de la directive impose aux États membres d’exonérer les produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité afin de garantir le bon fonctionnement du marché. Cette disposition vise à « éviter une double taxation de l’électricité » en déplaçant la charge fiscale vers le produit fini distribué aux consommateurs finaux. La juridiction souligne que le législateur européen a choisi d’imposer la taxation de l’électricité distribuée plutôt que celle des produits servant à sa génération. Ce mécanisme assure une neutralité fiscale indispensable aux échanges commerciaux au sein de l’Union européenne en harmonisant les niveaux minima de taxation. L’exonération des produits intrants constitue ainsi la règle de principe dont les autorités nationales ne peuvent s’écarter sans base légale explicite et précise.
B. Le caractère autonome de l’exonération du combustible de production
Le juge précise que « l’exonération obligatoire des produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité […] s’impose aux États membres de manière inconditionnelle ». Seules deux exceptions spécifiques, relatives à la protection de l’environnement ou aux petits producteurs dans un cadre harmonisé, permettent de déroger à ce principe. En l’espèce, la taxation nationale du gaz naturel ne relevait pas de considérations environnementales mais d’une logique de compensation budgétaire non prévue par le texte. La Cour rappelle que le caractère inconditionnel de l’obligation interdit aux États d’ajouter des critères supplémentaires pour l’octroi de l’avantage fiscal. L’utilisateur d’une installation de cogénération doit donc bénéficier de l’exonération pour la fraction du combustible réellement affectée à la production de courant électrique.
II. L’inefficience des régimes dérogatoires durant la transition fiscale
A. L’interprétation rigoureuse du champ d’application de la période transitoire
L’État membre invoquait le bénéfice d’une période transitoire prévue à l’article 18 pour justifier le maintien de sa structure de taxation nationale antérieure. La Cour rejette cet argument en rappelant que tout régime transitoire dérogeant aux règles communes « doit faire l’objet d’une interprétation stricte » par le juge. Elle observe que la faculté d’adaptation accordée par le traité concernait exclusivement le système de taxation de l’électricité et non celui des combustibles. Les dispositions relatives à l’exonération des produits utilisés pour la production demeuraient pleinement applicables malgré le délai de transition accordé pour le produit final. Cette distinction rigoureuse entre les deux objets de taxation empêche l’État de paralyser l’application des règles harmonisées relatives aux intrants énergétiques.
B. L’exclusion de la faculté de taxation dérogatoire des petits producteurs
L’administration soutenait également que la taxation des produits énergétiques était la contrepartie nécessaire de l’absence de taxe sur l’électricité produite par les petits producteurs. Le juge estime cependant que l’article 21 constitue uniquement « une modalité d’application du régime de taxation harmonisée » qui suppose l’existence préalable dudit régime national. Un État ne peut se prévaloir d’une option dérogatoire liée à un système fiscal qu’il a précisément choisi de ne pas encore mettre en œuvre. L’exonération de l’électricité produite pour usage propre durant la transition ne saurait donc légitimer la taxation du gaz naturel servant de combustible. Cette solution protège les opérateurs économiques contre une interprétation extensive des exceptions qui ruinerait l’objectif d’harmonisation fiscale poursuivi par la directive européenne.