Cour de justice de l’Union européenne, le 17 décembre 2015, n°C-419/14

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 17 décembre 2015 une décision fondamentale relative à l’abus de droit en matière fiscale. Un contrat de licence pour l’exploitation d’un site internet fut conclu entre des sociétés établies dans deux États membres appliquant des taux différents. L’administration fiscale a contesté la localisation de la prestation de services, soupçonnant une manœuvre visant à réduire indûment la charge de la taxe. Le litige fut porté devant les juridictions nationales qui saisirent la Cour de questions préjudicielles portant sur la définition précise de la pratique abusive. Les juges s’interrogeaient également sur la possibilité d’exploiter des interceptions de télécommunications obtenues lors d’une procédure pénale parallèle non encore clôturée. La Cour répond que l’abus de droit suppose un « montage purement artificiel » dissimulant la réalité de la fourniture des prestations de services. Elle précise en outre que les preuves pénales sont admissibles sous réserve du respect scrupuleux des droits garantis par l’ordre juridique européen. L’étude de la caractérisation du montage artificiel précédera l’analyse des garanties procédurales entourant l’administration de la preuve en matière fiscale.

I. La caractérisation de l’abus de droit par l’existence d’un montage artificiel

A. Les critères matériels d’une structure économique dépourvue de réalité

La juridiction de renvoi doit déterminer si le contrat de licence constitue une construction artificielle visant à bénéficier d’un taux de taxe avantageux. Les éléments relatifs à l’influence du gérant ou aux raisons du choix de l’État membre d’établissement ne sont pas décisifs en eux-mêmes. L’analyse doit porter sur la réalité de l’implantation du siège de l’activité économique ou de l’existence d’un établissement stable de l’entreprise.

Il convient de rechercher si la société preneuse possède une « structure appropriée en termes de locaux, de moyens humains et techniques » pour agir. La société doit exercer l’activité pour son propre compte, sous sa propre responsabilité et en assumant les risques inhérents à son exploitation commerciale. L’absence de ces éléments matériels suggère que la prestation n’est pas réellement fournie par le preneur mais par la société donneuse elle-même.

B. Les conséquences du redressement sur la localisation de la prestation

L’existence d’une pratique abusive permet à l’État membre de rétablir la situation telle qu’elle aurait existé sans ce montage frauduleux ou artificiel. Le paiement de la taxe dans l’État de complaisance « ne fait pas obstacle à ce qu’il soit procédé à un redressement » dans l’État compétent. Cette solution garantit la neutralité fiscale tout en sanctionnant les stratégies de planification fiscale agressive au sein de l’espace commun européen.

Le juge national doit veiller à ce que la taxe soit acquittée là où la prestation de services a réellement été fournie par l’assujetti. Cette requalification juridique de l’opération économique assure le respect du système commun de taxe sur la valeur ajoutée et prévient les distorsions de concurrence. L’identification de la fraude autorise les autorités nationales à ignorer les apparences contractuelles pour s’attacher à la substance réelle des échanges réalisés.

II. L’encadrement procédural de l’usage des preuves issues d’une enquête pénale

A. La recevabilité conditionnée des moyens de preuve intrusifs

L’administration peut utiliser des preuves issues d’une procédure pénale parallèle, même si celles-ci furent obtenues à l’insu de l’assujetti contrôlé. La légalité de ces preuves dépend du respect des droits fondamentaux, notamment les garanties prévues par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Les interceptions de télécommunications doivent être des moyens d’investigation « prévus par la loi et nécessaires » au regard des objectifs de l’enquête.

La juridiction nationale doit vérifier si l’utilisation de ces preuves par l’administration fiscale était également autorisée par la loi et strictement nécessaire. Le respect du droit à la vie privée et de la confidentialité des communications électroniques constitue une limite impérative aux pouvoirs d’investigation. Si ces conditions ne sont pas réunies, les preuves obtenues illégalement doivent être écartées pour garantir l’équité globale de la procédure engagée.

B. Le contrôle juridictionnel de la régularité et l’obligation de coopération

L’assujetti doit avoir la possibilité d’accéder aux preuves recueillies et d’être entendu sur celles-ci conformément au principe général du respect des droits de la défense. La juridiction nationale doit annuler la décision de redressement si elle constate que les preuves ont été obtenues ou utilisées de manière irrégulière. Ce contrôle juridictionnel effectif protège l’administré contre l’arbitraire tout en préservant l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union.

L’administration fiscale est tenue d’adresser une demande de renseignements aux autres autorités nationales si cet échange est « utile, voire indispensable » pour l’enquête. Cette coopération administrative renforce la lutte contre la fraude tout en assurant une application cohérente des règles fiscales sur le territoire européen. L’équilibre entre l’efficacité de la collecte de l’impôt et la protection des droits individuels demeure ainsi au cœur du raisonnement juridique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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