La Cour de justice de l’Union européenne se prononce, en sa quatrième chambre, sur l’interprétation du champ d’application de la directive 98/26. Un titulaire de compte courant a ordonné le transfert de ses fonds vers un autre établissement bancaire peu avant l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. L’administrateur judiciaire a contesté l’exécution de cet ordre, tandis que le demandeur invoquait la protection spécifique prévue par le droit de l’Union.
Les juridictions lettonnes saisies au fond ont accueilli le recours du déposant, provoquant un pourvoi en cassation devant la Cour suprême de Lettonie. Cette dernière a alors saisi la juridiction européenne de deux questions préjudicielles relatives à la qualification juridique de la notion d’ordre de transfert. Le juge européen doit déterminer si l’instruction de paiement donnée par un client à sa banque bénéficie des dispositions protectrices contre l’insolvabilité. Il s’agit de savoir si la qualité de l’émetteur de l’ordre conditionne l’application du régime dérogatoire instauré pour sécuriser les systèmes de règlement.
La Cour répond négativement en soulignant que le client d’un établissement de crédit n’est ni un participant ni un participant indirect au système. Un tel ordre ne constitue donc pas un ordre de transfert bénéficiant de l’opposabilité garantie aux tiers malgré l’insolvabilité de l’institution bancaire. Cette solution conduit à examiner la délimitation stricte de la notion d’ordre de transfert avant d’envisager la préservation de la finalité systémique du dispositif.
I. La délimitation stricte de la notion d’ordre de transfert
A. L’exigence d’une instruction émanant d’un participant au système
La Cour rappelle que la notion d’ordre de transfert vise « uniquement les instructions entraînant des obligations financières qui sont données par des participants ». Cette interprétation repose sur une lecture littérale et contextuelle des définitions techniques prévues par l’article 2 de la directive européenne. Le système de règlement repose sur un accord formel entre au moins trois entités chargées d’exécuter des opérations financières ou des transferts. Seuls ces acteurs, identifiés comme institutions ou contreparties centrales, possèdent la capacité juridique d’initier des flux financiers protégés par la législation. La décision précise que le titulaire d’un compte courant ordinaire ne correspond à aucune des catégories d’entités énumérées de façon exhaustive. Cette exclusion découle du rôle passif du déposant qui se contente de solliciter une prestation de service auprès de son propre banquier.
B. L’exclusion des ordres de paiement issus de tiers extérieurs
Les juges soulignent que cette notion « ne couvre pas les instructions entraînant des obligations financières qui sont émises par des tiers ». Cette distinction fondamentale sépare les relations interbancaires des rapports contractuels liant un établissement de crédit à sa clientèle de détail ou ordinaire. Un ordre de paiement adressé par un particulier constitue une simple instruction de virement dépourvue de nature systémique tant qu’elle reste interne. L’ordre n’acquiert sa qualification européenne qu’au moment où le participant au système le transforme en une instruction régie par des règles communes. L’opposabilité aux tiers en cas d’insolvabilité est une protection d’exception qui ne saurait s’étendre aux opérations courantes sans dénaturer le cadre. La Cour refuse d’élargir le cercle des bénéficiaires au-delà des opérateurs professionnels directement engagés dans les procédures de compensation et de règlement.
II. La préservation de la finalité systémique de la protection
A. Une interprétation conforme à l’objectif de stabilité financière
L’objectif premier de la directive est de « réduire le risque systémique et d’assurer la stabilité des systèmes de paiement » en limitant les perturbations. La Cour de justice lie étroitement l’application du texte à la nécessité de prévenir une contagion financière entre les acteurs bancaires majeurs. La protection contre les effets de l’insolvabilité vise à garantir que les engagements pris entre banques ne soient pas annulés subitement. Ce mécanisme dérogatoire au droit commun des faillites ne se justifie que par l’impératif de continuité des règlements financiers à l’échelle européenne. Une extension de ce régime aux déposants ordinaires irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurité des marchés. Les juges privilégient une approche finaliste en cantonnant la protection aux transactions dont la rupture menacerait l’équilibre global de l’économie de l’Union.
B. L’absence de risque systémique lié aux relations contractuelles ordinaires
La Cour considère que la non-exécution d’une instruction individuelle « ne crée pas un risque systémique et n’affecte pas la stabilité d’un système ». Le préjudice subi par un déposant unique demeure une question de droit privé ne mettant pas en péril les structures financières du pays. Le droit de l’Union distingue les risques opérationnels liés aux contrats de dépôt des risques structurels inhérents au fonctionnement des chambres de compensation. Cette séparation assure que le privilège accordé aux systèmes de paiement reste cantonné à son utilité sociale et économique pour la place financière. Cette décision confirme la volonté de ne pas transformer un outil de régulation macro-économique en instrument de protection des seuls créanciers individuels. La rigueur terminologique employée par les juges européens garantit la prévisibilité juridique nécessaire au bon fonctionnement des systèmes de règlement des titres.