La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 3 juillet 2014, précise l’application de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée au secteur maritime. Cette décision examine la conformité de dispositions nationales spécifiques relatives à l’engagement des marins avec les exigences de protection contre le recours abusif aux contrats précaires.
Des marins furent engagés par plusieurs contrats successifs pour assurer des liaisons journalières par ferry entre deux ports situés dans un même État membre. Ces engagements, conclus pour un ou plusieurs voyages, prévoyaient une durée maximale de soixante-dix-huit jours sans indiquer de date d’échéance précise.
Invoquant une rupture illégale de leurs relations de travail, les intéressés saisirent le Tribunal de Messine pour obtenir la requalification de leurs contrats. Après des décisions divergentes de la Cour d’appel de Messine, la Cour suprême de cassation décida de surseoir à statuer pour interroger la compatibilité du code de la navigation.
Le problème de droit consiste à savoir si l’accord-cadre européen s’applique aux gens de mer et si les critères nationaux de requalification garantissent une protection effective. La Cour affirme que l’accord s’applique aux marins effectuant des trajets nationaux et valide le mécanisme de requalification sous réserve de vérification par le juge national.
L’analyse de cette jurisprudence commande d’étudier l’universalité de la protection sociale européenne avant d’apprécier les limites de l’autonomie procédurale nationale dans la sanction des abus.
I. L’intégration des gens de mer au socle commun de protection contre la précarité
A. L’application extensive du champ d’application de l’accord-cadre
La juridiction européenne rappelle d’abord que le champ d’application de l’accord-cadre est conçu de manière large pour viser tous les travailleurs à durée déterminée. Elle souligne que « la définition de la notion de « travailleurs à durée déterminée » […] englobe l’ensemble des travailleurs, sans opérer de distinction selon la qualité publique ou privée ».
Le secteur maritime ne saurait être exclu arbitrairement par une législation nationale, même en présence de dispositions internationales spécifiques comme la convention du travail maritime. L’accord-cadre s’impose dès lors que les contrats ne relèvent pas des exceptions limitatives relatives à la formation professionnelle initiale ou au travail intérimaire. Cette solution consacre la primauté de la protection des salariés sur les particularismes sectoriels, garantissant une égalité de traitement minimale pour tous les marins de l’Union.
B. La validation formelle du terme défini par la durée du contrat
La Cour précise ensuite que l’indication d’une durée maximale suffit à caractériser le terme d’un contrat sans qu’une date calendaire précise ne soit requise. Elle estime que « la circonstance que le terme d’un tel contrat est déterminé par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise » inclut la mention d’un nombre de jours.
L’accord-cadre ne régit pas les conditions formelles de conclusion des contrats mais impose simplement que la fin de la relation de travail soit objectivement déterminable. La formule prévoyant soixante-dix-huit jours au maximum permet d’identifier l’échéance certaine de l’engagement, rendant les dispositions européennes pleinement applicables à ces relations. Le juge européen valide par cette interprétation souple les usages contractuels du secteur maritime tout en maintenant les travailleurs sous le régime protecteur du droit de l’Union.
II. L’effectivité relative des mesures nationales de prévention des recours abusifs
A. La reconnaissance d’une marge de manœuvre dans le choix des mesures préventives
Les États membres disposent d’une liberté substantielle pour choisir les instruments visant à prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail successifs. Ils peuvent opter pour des raisons objectives justifiant le renouvellement, la durée maximale totale ou le nombre de renouvellements selon leurs spécificités nationales.
La Cour admet qu’une réglementation puisse prévoir la transformation en contrat à durée indéterminée uniquement après une année d’activité ininterrompue au service du même employeur. Elle considère qu’un délai de soixante jours entre deux contrats peut raisonnablement être regardé comme suffisant pour interrompre toute relation de travail existante. L’autonomie des États est toutefois encadrée par l’objectif de stabilité de l’emploi, conçu comme un élément majeur de la protection des travailleurs contre la précarité.
B. L’exigence de proportionnalité et de dissuasion de la sanction nationale
En l’absence de sanctions européennes spécifiques, les autorités nationales doivent adopter des mesures proportionnées, suffisamment effectives et dissuasives pour garantir la pleine efficacité des normes. La Cour martèle qu’une « mesure présentant des garanties effectives et équivalentes […] doit pouvoir être appliquée pour sanctionner dûment cet abus ».
Le juge national doit vérifier que le mode de calcul de la durée maximale d’un an ne vide pas la protection de sa substance concrète. Une application trop rigide des jours d’activité effective pourrait en effet réduire substantiellement le caractère effectif de la prévention contre les successions abusives. Cette décision délègue ainsi au juge de renvoi la mission délicate de confronter la règle nationale aux principes d’équivalence et d’effectivité du droit européen.