Cour de justice de l’Union européenne, le 2 février 2021, n°C-481/19

La Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée des garanties fondamentales dans un arrêt de Grande chambre rendu le 2 février 2021. Un litige opposait un particulier à une autorité nationale de régulation financière au sujet de sanctions pour délit d’initié et défaut de coopération. Le requérant avait refusé de répondre aux questions posées lors d’une audition administrative en invoquant son droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination. La Cour d’appel de Rome a rejeté son recours puis la Cour de cassation italienne a saisi la Cour constitutionnelle d’une question incidente de constitutionnalité. Cette dernière a sollicité une décision préjudicielle pour vérifier la validité du droit dérivé imposant des sanctions en cas de ressortir la responsabilité de l’intéressé. La juridiction européenne devait déterminer si le droit au silence s’oppose à l’infliction de sanctions administratives punitives à une personne physique refusant de s’exprimer. Elle a conclu que les textes de l’Union permettent de ne pas sanctionner celui qui refuse de fournir des réponses révélant sa responsabilité pénale potentielle.

I. La reconnaissance du droit au silence face à des sanctions administratives de nature pénale

A. L’assimilation fonctionnelle de la procédure administrative à la matière pénale

La Cour de justice rappelle que les garanties du procès équitable s’appliquent dès lors qu’une sanction administrative présente un caractère répressif marqué. Elle mobilise les critères classiques relatifs à la qualification juridique interne ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité de la mesure encourue. Les sanctions pécuniaires et les confiscations prévues en matière d’abus de marché poursuivent une finalité punitive dépassant la simple réparation d’un dommage économique. Ces mesures revêtent donc une nature pénale au sens de la Charte des droits fondamentaux indépendamment de leur qualification formelle par le droit national.

Le droit au silence constitue une norme internationale au cœur du procès équitable en mettant le prévenu à l’abri d’une coercition abusive des autorités. Cette protection vise à assurer que l’accusation fonde son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la force ou la pression. La juridiction souligne que ce droit est violé lorsqu’un suspect est menacé de sanctions pour son refus de témoigner dans une procédure de cette nature. Elle confirme ainsi l’alignement des exigences du droit de l’Union sur le seuil de protection minimale défini par la Cour européenne des droits de l’homme.

B. L’exclusion de la contrainte à l’auto-incrimination pour les personnes physiques

La décision précise que le droit au silence « ne saurait raisonnablement se limiter aux aveux de méfaits ou aux remarques mettant directement en cause la personne ». Cette garantie couvre également les informations factuelles susceptibles d’être ultérieurement utilisées par l’accusation pour établir la commission d’une infraction ou aggraver une sanction. La Cour opère une distinction nécessaire avec sa jurisprudence antérieure relative au droit de la concurrence qui impose une coopération plus stricte aux entreprises. Les spécificités des personnes morales ne sauraient justifier une réduction des libertés individuelles dont bénéficient les personnes physiques impliquées dans des poursuites répressives.

Une personne physique ne peut se voir imposer l’obligation de fournir des réponses par lesquelles elle serait amenée à admettre l’existence d’une violation du droit. L’autorité de surveillance ne peut donc pas légalement contraindre un individu à contribuer activement à sa propre condamnation sous peine de sanctions administratives supplémentaires. Ce principe assure l’intégrité de la procédure judiciaire en évitant que la volonté de l’intéressé soit brisée par la menace d’une amende pour non-coopération. L’immunité contre l’auto-incrimination devient alors un rempart indispensable contre l’arbitraire des pouvoirs d’enquête administrative au sein de l’espace judiciaire européen.

II. Une protection fondamentale conciliée avec les exigences du droit de l’Union

A. L’interprétation des actes de droit dérivé à la lumière de la Charte

La validité de la directive sur les abus de marché et du règlement associé est maintenue grâce à une application rigoureuse du principe d’interprétation conforme. Les textes prévoyant des sanctions en cas de défaut de coopération doivent se lire en respectant systématiquement les dispositions supérieures de la Charte. L’obligation pour les États membres de déterminer des sanctions applicables au manque de diligence lors des enquêtes ne saurait inclure le refus légitime de témoigner. Cette démarche évite de constater l’invalidité du droit dérivé en préférant une lecture qui rend les normes compatibles avec les droits fondamentaux de l’Union.

Le législateur européen n’impose pas de sanctionner une personne physique qui refuse de fournir des réponses susceptibles de faire ressortir sa responsabilité pénale ou administrative. Les institutions de l’Union et les États membres sont tenus d’exercer leur pouvoir d’appréciation conformément aux exigences du droit à un procès équitable. L’efficacité de la surveillance des marchés financiers doit ainsi composer avec la nécessité absolue de garantir la liberté individuelle face aux autorités publiques. Cette solution préserve la cohérence de l’ordre juridique européen en subordonnant l’objectif d’efficacité administrative au respect des principes constitutionnels communs.

B. La délimitation de la sphère d’application de l’immunité procédurale

Le droit au silence n’autorise pas pour autant une obstruction totale aux missions de vérification et de contrôle dévolues aux autorités de régulation financière. Il « ne saurait justifier tout défaut de coopération avec les autorités compétentes » comme le refus de se présenter physiquement à une audition officielle. Les manœuvres dilatoires visant à reporter la tenue d’un entretien ou à dissimuler des documents préexistants restent passibles des sanctions prévues par la loi. La protection se concentre exclusivement sur l’expression de la pensée et la volonté de ne pas témoigner contre soi-même lors des interrogatoires.

Les États membres conservent la faculté de sanctionner les comportements qui ne relèvent pas strictement de la protection contre l’auto-incrimination forcée durant l’enquête. L’équilibre est ainsi maintenu entre la protection de la dignité humaine du prévenu et l’exigence d’une régulation efficace des marchés financiers européens. Cette jurisprudence encadre strictement les pouvoirs d’investigation sans paralyser la capacité d’action des autorités compétentes pour détecter et réprimer les opérations d’initiés illicites. La portée de la décision assure une protection effective sans créer une zone de non-droit absolue pour les acteurs des marchés de capitaux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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