La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 2 mars 2023, une décision relative à l’interprétation de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Entre décembre 2018 et juin 2019, des exploitants de jeux de hasard établis aux Pays-Bas diffusent des publicités sur le territoire belge. La commission nationale compétente leur inflige des amendes administratives le 11 décembre 2020 pour violation de l’interdiction de publicité sans licence locale. Le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, saisi du litige, décide de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne par voie préjudicielle. Les requérants soutiennent que l’impossibilité d’obtenir une dérogation pour les établissements situés hors du territoire national contrevient au principe de libre prestation des services. La juridiction de renvoi demande si le droit de l’Union s’oppose à un régime réservant une exception publicitaire aux seuls exploitants nationaux dûment autorisés. La Cour répond par l’affirmative, jugeant que cette mesure constitue une restriction discriminatoire ne pouvant être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. L’examen de cette décision permet de comprendre la caractérisation d’une restriction discriminatoire avant d’analyser l’application rigoureuse du contrôle de proportionnalité par le juge.
I. La caractérisation d’une restriction discriminatoire à la libre prestation des services
L’article 56 exige la suppression de toute entrave gênant les activités d’un prestataire établi dans un autre État membre où il fournit légalement des services. La Cour relève que la législation nationale « a pour effet d’interdire la publicité dans cet État membre de tous les établissements situés dans les autres États membres ».
A. L’entrave fondée sur le lieu d’établissement du prestataire
Une réglementation nationale interdisant la promotion des jeux de hasard organisés licitement dans d’autres États membres constitue une restriction manifeste à la libre prestation des services. L’impossibilité pour un établissement étranger d’obtenir une autorisation publicitaire découle exclusivement de sa localisation géographique en dehors du territoire national de l’État concerné. Ainsi, le juge européen souligne qu’une restriction de cette nature « présente un caractère discriminatoire » au sens du droit de l’Union européenne. Cette qualification d’entrave discriminatoire restreint alors considérablement les possibilités de justification offertes à l’État membre concerné pour maintenir son dispositif législatif.
B. L’exclusion des raisons impérieuses d’intérêt général comme justification
Les objectifs de protection des consommateurs et de lutte contre la fraude ne peuvent justifier une restriction discriminatoire à la libre prestation de services. La Cour rappelle que ces motifs, relevant de raisons impérieuses d’intérêt général, « ne sauraient […] être invoqués pour justifier une restriction […] ayant un caractère discriminatoire ». L’intérêt général est donc insuffisant pour couvrir un régime qui réserve des privilèges publicitaires aux seuls acteurs économiques établis sur le sol national. Le constat d’une discrimination injustifiée conduit la juridiction européenne à évaluer la proportionnalité de la mesure au regard des objectifs de santé publique.
II. L’application du contrôle de proportionnalité aux mesures de protection sanitaire
La lutte contre l’addiction au jeu peut relever de la protection de la santé publique au sens de l’article 52 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’État membre doit toutefois démontrer que la restriction constitue une « condition indispensable pour atteindre l’objectif poursuivi » par sa politique de régulation.
A. La disproportion manifeste de l’interdiction absolue
La réserve exclusive du droit de publicité aux établissements nationaux dépasse ce qui est considéré comme proportionné pour protéger les joueurs contre les risques. L’arrêt précise qu’une interdiction sans possibilité de dérogation pour les prestataires transfrontaliers n’est pas nécessaire à la sauvegarde des intérêts publics mentionnés. La Cour constate que la mesure litigieuse « dépasse ce qui peut être considéré comme proportionné », empêchant arbitrairement des opérateurs étrangers de solliciter une autorisation. L’absence de nécessité de la mesure répressive impose d’envisager des solutions juridiques compatibles avec le respect des libertés fondamentales du marché intérieur.
B. La reconnaissance de mesures alternatives moins attentatoires aux libertés
L’État pourrait autoriser la publicité des établissements étrangers à la condition que les contrôles exercés ailleurs apportent des garanties équivalentes aux dispositions nationales. La mise en place d’un système de reconnaissance mutuelle des exigences de sécurité permettrait d’atteindre les objectifs de santé sans discriminer les prestataires européens. Finalement, le juge conclut que l’article 56 s’oppose à une législation nationale qui refuse systématiquement l’accès au marché publicitaire aux établissements situés hors frontières.