Cour de justice de l’Union européenne, le 2 septembre 2021, n°C-34/20

Par un arrêt rendu le 2 septembre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne précise l’étendue de l’obligation de neutralité du réseau internet. Un fournisseur d’accès proposait une option gratuite permettant de consommer certains contenus audiovisuels sans décompte du volume de données inclus dans le forfait. L’activation de ce service entraînait toutefois une limitation technique du débit pour l’ensemble des flux de diffusion vidéo consultés par l’utilisateur final.

L’autorité nationale de régulation a, par une décision du 15 décembre 2017, constaté la non-conformité de cette offre avec les obligations du droit européen. Après le rejet de sa réclamation le 8 juin 2018, l’opérateur a formé un recours en annulation devant le tribunal administratif de Cologne. Cette juridiction a décidé de surseoir à statuer afin d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 3 du règlement du 25 novembre 2015.

La question de droit soumise vise à savoir si une limitation de bande passante liée à une option tarifaire préférentielle respecte l’obligation d’égalité du trafic. La Cour juge qu’une telle restriction technique est incompatible avec les prescriptions du règlement dès lors qu’elle repose sur une distinction fondée sur des considérations commerciales. Le raisonnement de la juridiction européenne privilégie d’abord l’analyse du traitement du trafic avant d’écarter l’argument tiré de l’autonomie contractuelle des parties.

**I. L’affirmation de l’obligation de traitement égal du trafic internet**

**A. L’incompatibilité par nature des options tarifaires préférentielles**

La juridiction européenne rappelle que les fournisseurs doivent traiter tout le trafic de façon égale, sans discrimination, restriction ou interférence entre les différents services. L’option litigieuse opère une distinction au sein du trafic en ne décomptant pas les données consommées via des applications partenaires du volume de données global. La décision souligne qu’une telle pratique commerciale « ne satisfait pas à l’obligation générale de traitement égal du trafic » telle qu’énoncée par le règlement.

Le manquement résulte de l’incitation financière qui privilégie certains contenus au détriment d’autres, faussant ainsi le libre choix de l’utilisateur sur le réseau internet. Ce constat d’illicéité s’applique indépendamment de la possibilité technique d’accéder librement aux contenus non partenaires après épuisement du volume de données initialement acheté. L’égalité de traitement constitue ainsi une règle d’ordre public à laquelle les opérateurs ne peuvent déroger par le biais de simples stratégies tarifaires.

**B. L’illicéité des mesures de gestion du trafic fondées sur des considérations commerciales**

Les juges précisent que les mesures de gestion ne sont raisonnables que si elles reposent sur des différences techniques objectives et non sur des considérations commerciales. La limitation de la bande passante appliquée au streaming vidéo dans l’espèce commentée trouve son origine exclusive dans l’activation d’une option de type tarif nul. La Cour considère que « les exceptions prévues pour les mesures de gestion ne sauraient être prises en considération » dans un tel contexte purement mercantile.

Une restriction de débit ne peut se justifier que par des nécessités de sécurité du réseau ou pour prévenir une congestion temporaire ainsi qu’exceptionnelle. L’intégration d’une contrainte technique dans une offre marketing disqualifie donc la mesure au regard des critères de transparence et de proportionnalité requis par le droit. Cette interprétation stricte garantit que la qualité technique du service ne soit pas utilisée comme un levier de discrimination entre les différents fournisseurs de contenus.

**II. La protection renforcée des droits des utilisateurs finals**

**A. L’éviction de la liberté contractuelle face à l’ordre public numérique**

L’arrêt tranche la question de l’articulation entre le droit des contrats et les impératifs de neutralité du réseau en faveur de la protection des utilisateurs. La société requérante soutenait que l’abonné acceptait volontairement la limitation de débit en échange de l’avantage tarifaire procuré par l’activation de l’option complémentaire. Toutefois, la Cour affirme qu’un manquement à l’égalité de traitement « ne saurait être justifié au titre du principe de liberté contractuelle » reconnu par le règlement.

Le consentement de l’utilisateur ne peut valider une pratique qui porte atteinte aux principes fondamentaux d’ouverture et de neutralité de l’internet au sein de l’Union. L’interdiction s’impose ainsi aux fournisseurs indépendamment du fait que l’option réponde à une demande réelle des consommateurs ou des divers éditeurs de services. Cette primauté de la norme européenne assure une protection uniforme des droits numériques sur l’ensemble du marché intérieur sans égard pour les volontés particulières.

**B. La portée de l’interdiction des limitations techniques discriminatoires**

La solution adoptée par la Cour de justice confirme une lecture protectrice de l’accès à un internet ouvert pour l’ensemble des citoyens de l’Union. La contrariété au droit européen subsiste « indépendamment de la forme ou de la nature des conditions d’utilisation » attachées aux différentes options tarifaires alors proposées. En censurant la réduction de bande passante, la juridiction européenne écarte le risque d’un internet à deux vitesses régi par des accords commerciaux d’exclusivité.

Cette jurisprudence renforce les prérogatives des régulateurs nationaux pour contrôler les offres de communications électroniques et garantir l’intégrité globale des flux de données. Le respect scrupuleux de la neutralité technologique apparaît désormais comme une condition impérative de la fourniture des services d’accès sur le territoire de l’Union. La protection du pluralisme des contenus et de l’innovation numérique dépend ainsi de cette vigilance constante face aux pratiques de différenciation technique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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