La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 20 décembre 2017 un arrêt portant sur la qualification juridique d’une plateforme numérique d’intermédiation. Cette décision s’inscrit dans un litige opposant une organisation de transporteurs à une société exploitant une application mobile de mise en relation de chauffeurs.
Le litige porte sur une activité mettant en contact des chauffeurs non professionnels avec des particuliers souhaitant effectuer des trajets urbains contre une rémunération. L’association demanderesse soutient que cette pratique constitue une concurrence déloyale car la société ne détient pas les autorisations administratives normalement requises pour les taxis.
Le tribunal de commerce numéro 3 de Barcelone a saisi la Cour par une décision du 16 juillet 2015 afin d’obtenir une interprétation du droit européen. Il s’agit de déterminer si ce service relève de la société de l’information ou s’il doit être qualifié de prestation de transport au sens du traité.
La question posée porte sur la nature juridique d’une plateforme organisant une offre de transport urbain par l’intermédiaire d’outils informatiques dédiés à la clientèle. La Cour répond qu’un tel service doit être considéré comme étant « indissociablement lié à un service de transport » en raison de l’influence exercée sur les chauffeurs.
Cette solution conduit à l’application du régime spécifique des transports et autorise les États membres à soumettre l’activité à des régimes de licences préalables.
I. L’intégration de l’intermédiation numérique dans la prestation de transport
A. La reconnaissance d’un service global indivisible
La Cour examine si la mise en relation électronique constitue une prestation autonome ou si elle s’intègre dans une opération complexe de nature différente. Elle relève que la société crée une offre de transport urbain qu’elle rend accessible au moyen de son application informatique pour téléphones intelligents. Ce service ne se limite pas à une simple transmission d’informations entre un passager et un chauffeur indépendant disposant de ses propres moyens.
La décision précise que le prestataire « organise le fonctionnement général en faveur des personnes désireuses de recourir à cette offre aux fins d’un déplacement urbain ». L’acte physique de déplacement devient l’élément principal d’une offre globale dont l’outil numérique n’est que la condition technique de réalisation. Le juge européen écarte ainsi la qualification de « service de la société de l’information » au profit d’une vision unitaire de l’activité économique proposée.
B. L’exercice d’un contrôle déterminant sur les conditions d’exécution
L’influence décisive exercée par la plateforme sur les chauffeurs non professionnels constitue le critère majeur retenu par la Cour pour justifier sa position. La société sélectionne les prestataires et fournit l’interface sans laquelle ces derniers ne pourraient techniquement pas exercer leur activité de transport urbain. Elle établit également « à tout le moins le prix maximum de la course » et assure la collecte des fonds auprès de la clientèle finale.
Le juge souligne que l’entreprise exerce un contrôle sur la qualité des véhicules ainsi que sur le comportement des conducteurs sous peine d’exclusion définitive. Ces éléments démontrent que la plateforme ne se contente pas de faciliter une rencontre mais qu’elle dirige effectivement la fourniture du service matériel. Cette maîtrise contractuelle et technique transforme l’intermédiation numérique en un élément constitutif d’un « service dans le domaine des transports » au sens du droit de l’Union.
II. Les conséquences du régime des transports sur les prérogatives étatiques
A. L’éviction des mécanismes protecteurs du commerce électronique
La qualification de service de transport entraîne l’inapplicabilité des directives favorisant la libre prestation des services numériques au sein du marché intérieur européen. La Cour écarte expressément l’application de la directive sur le commerce électronique car le service en cause ne répond pas aux critères de liberté absolue. L’activité est donc exclue du champ d’application de l’article 56 du traité relatif à la libre prestation des services en raison de sa nature spécifique.
Le juge considère que ce service « doit, partant, être exclu du champ d’application » des dispositions protectrices visant à limiter les restrictions nationales aux prestations dématérialisées. Cette exclusion prive la société des garanties offertes aux prestataires de la société de l’information qui interdisent normalement les régimes d’autorisation préalable injustifiés. Le droit européen des transports, régi par l’article 58 du traité, devient le seul cadre juridique de référence pour apprécier la validité des mesures nationales.
B. La restauration du pouvoir réglementaire des autorités nationales
En l’absence de règles communes adoptées au niveau de l’Union pour les transports urbains non collectifs, la compétence législative demeure entre les mains des États membres. La Cour affirme qu’il appartient aux autorités nationales de réglementer les conditions de prestation de ces services d’intermédiation dans le respect du traité. Les États peuvent donc imposer des licences ou des autorisations administratives aux plateformes numériques fonctionnant sur un modèle d’intégration de services matériels.
La décision permet ainsi de maintenir l’équilibre des marchés locaux du transport de personnes face à l’émergence de nouveaux modèles économiques perturbateurs. Les juridictions nationales retrouvent leur pleine capacité pour sanctionner d’éventuels actes de concurrence déloyale commis par des entreprises ne respectant pas les règlements professionnels. Cette solution garantit la neutralité juridique entre les acteurs traditionnels et les plateformes numériques dès lors qu’ils partagent une finalité économique identique.