Cour de justice de l’Union européenne, le 20 mai 2021, n°C-879/19

La Cour de justice de l’Union européenne, par son arrêt du 14 mai 2020, précise les critères d’assujettissement des travailleurs exerçant leurs activités dans plusieurs États. L’intéressé, résidant en Pologne, a été engagé par une société polonaise pour accomplir des travaux de construction durant une période s’étendant sur environ trois années. Celui-ci a exercé ses fonctions en France pendant treize mois, puis au Royaume-Uni durant deux mois, avant de retourner travailler durablement sur le territoire français.

L’institution d’assurance sociale de la première division de Varsovie a refusé, par une décision du 13 février 2008, de délivrer le certificat attestant le maintien du régime polonais. Le tribunal régional de Varsovie a rejeté le recours contre cette décision en considérant que le travailleur relevait de la législation de l’État d’emploi habituel. La cour d’appel de Varsovie a confirmé cette solution le 23 janvier 2018, en soulignant que l’activité habituelle ne s’exerçait en réalité que dans un seul pays. Saisie d’un pourvoi en cassation, la juridiction suprême polonaise a décidé d’interroger la Cour de justice sur la qualification juridique d’une activité exercée successivement dans plusieurs États.

Le juge européen devait déterminer si un salarié travaillant durant plusieurs mois successifs uniquement dans différents États membres relève du régime spécifique des activités pluri-étatiques. La Cour décide que l’article 14, paragraphe 2, du règlement ne s’applique pas lorsque les périodes de travail ininterrompues dans un État membre dépassent douze mois. Cette solution impose un cadre temporel strict pour distinguer le régime normal de la sécurité sociale des dérogations prévues pour la libre circulation des travailleurs.

I. L’interprétation rigoureuse de la notion d’activité habituelle sur plusieurs territoires

A. La primauté de la réalité de l’exécution contractuelle sur la qualification formelle

La Cour rappelle que l’application du régime dérogatoire suppose qu’une personne puisse être considérée comme une « personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres ». Pour qualifier cette situation, les juges doivent examiner la durée des périodes d’activité et la nature du travail telles que définies dans les documents contractuels. Il convient également de prendre en compte « la réalité des activités exercées » et la manière dont les contrats ont été exécutés en pratique par l’employeur. En l’espèce, l’exécution du contrat montre une présence prolongée sur un seul territoire, ce qui contredit l’idée d’une activité exercée de manière concomitante ou alternative.

B. L’exclusion des situations d’activité normale dans un seul État membre

Le juge européen souligne que si l’exercice d’une activité sur le territoire d’un seul État constitue le régime normal du salarié, celui-ci ne peut bénéficier des dérogations. Une interprétation extensive de l’article 14, paragraphe 2, du règlement risquerait d’inclure des situations où l’activité est si longue qu’elle devient le régime d’activité habituel. La Cour affirme que ce texte, constituant une exception au principe de la loi du lieu de travail, doit nécessairement être « interprétée de manière stricte ». Cette exigence de rigueur garantit que les règles particulières ne se substituent pas abusivement au régime de droit commun applicable à la majorité des travailleurs.

II. La préservation de la cohérence du système de conflit de lois

A. L’application par analogie du seuil temporel du détachement temporaire

Afin d’assurer une lecture cohérente du règlement, la Cour s’appuie sur le régime du détachement qui fixe une limite maximale de douze mois pour maintenir l’affiliation d’origine. Le législateur a considéré que le travail de courte durée dans un autre État justifie une exception à la règle de l’État membre du lieu d’exercice de l’activité. Les juges considèrent qu’une personne travaillant successivement dans différents États ne relève du régime pluri-étatique que si chaque période de travail ininterrompue n’excède pas cette durée annuelle. Ce critère temporel permet d’harmoniser les différentes exceptions prévues par le texte européen tout en offrant une sécurité juridique indispensable aux organismes sociaux nationaux.

B. La prévention des risques de contournement du principe de la loi du lieu de travail

Le règlement établit un « système complet et uniforme de règles de conflit de lois » visant à soumettre les travailleurs au régime de sécurité sociale d’un seul État. Le principe fondamental demeure celui de l’article 13, paragraphe 2, selon lequel le travailleur est soumis à la législation de l’État membre sur le territoire duquel il travaille. L’interprétation retenue par la Cour empêche un employeur de détourner ce principe en utilisant artificiellement la catégorie des travailleurs pluri-étatiques pour des chantiers de longue durée. La solution garantit ainsi que le lien entre le travailleur et la législation sociale de son lieu d’emploi effectif n’est pas rompu sans justification impérieuse.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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