La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 20 mars 2018, une décision fondamentale concernant la passation des marchés publics de services. Un État membre avait imposé, par voie législative, l’attribution directe de l’impression de documents d’identité sécurisés à une société de droit privé déterminée. La Commission européenne a alors introduit un recours en manquement, contestant l’absence de mise en concurrence pour ces contrats de services particulièrement sensibles. Le gouvernement défendeur invoquait ses intérêts essentiels de sécurité nationale ainsi que la nécessité de garantir la confidentialité absolue des données biométriques des citoyens. Le litige porte sur la possibilité pour un gouvernement de déroger aux directives de l’Union en invoquant unilatéralement des impératifs de sécurité publique. La Cour juge que de tels motifs ne permettent pas d’écarter systématiquement les règles de publicité et de mise en concurrence européenne sans justification proportionnée. L’analyse portera d’abord sur l’encadrement rigoureux de l’exception de sécurité avant d’aborder le régime juridique applicable aux marchés de faible valeur économique.
I. L’encadrement rigoureux de l’exception de sécurité nationale
A. La lecture restrictive des dérogations aux directives de passation
La juridiction souligne que l’État membre qui invoque le bénéfice de ces dérogations doit établir que le besoin de protéger de tels intérêts est réel. Elle précise qu’une telle interprétation stricte est nécessaire pour préserver l’effet utile des règles relatives aux libertés fondamentales du traité sur le fonctionnement européen. Les juges rappellent que « les dérogations en cause dans le présent recours, comme il est de jurisprudence constante, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte ». L’invocation de la souveraineté nationale ne saurait suffire à justifier l’absence totale de mise en concurrence pour des prestations de services de nature commerciale. L’État doit démontrer que les objectifs de sécurité ne peuvent être atteints par d’autres moyens compatibles avec le droit de l’Union européenne en vigueur.
B. La primauté du principe de proportionnalité dans la protection des intérêts étatiques
Cette exigence de proportionnalité oblige le pouvoir adjudicateur à rechercher des méthodes de contrôle moins restrictives que l’attribution directe à un opérateur unique de droit privé. La Cour de justice de l’Union européenne affirme que « le besoin de protéger de tels intérêts n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence ». Les autorités auraient pu insérer des clauses de confidentialité strictes et prévoir des sanctions contractuelles efficaces en cas de manquement aux obligations de sécurité. L’imposition d’exigences techniques élevées aux candidats aurait permis de garantir la fiabilité du prestataire sans sacrifier le principe de transparence des marchés publics. La centralisation des impressions auprès d’une seule entité ne justifie pas en soi l’éviction des procédures d’appel d’offres prévues par les directives européennes.
II. La protection résiduelle des marchés de faible valeur
A. L’inapplicabilité des directives aux marchés sous les seuils fixés
Le litige concerne également la production de permis spécifiques dont la valeur estimée reste nettement inférieure aux seuils d’application des directives sur les services. Pour ces contrats modestes, il n’existait aucune obligation découlant des textes dérivés de recourir à une procédure formelle de passation de marché public. La Cour constate d’ailleurs que « le montant du marché de production de permis de pyrotechnie ne dépasse pas les seuils prévus par ces directives ». Les principes généraux du traité ne s’appliquent alors que si le marché présente un intérêt transfrontalier certain pour des entreprises situées ailleurs. Cette distinction fondamentale permet de préserver une certaine souplesse administrative pour les prestations dont l’impact économique sur le marché intérieur demeure limité.
B. L’exigence probatoire d’un intérêt transfrontalier certain
La Commission européenne doit apporter la preuve concrète qu’une entreprise étrangère aurait pu raisonnablement manifester un intérêt pour l’exécution de cette commande technique spécifique. La juridiction rejette le recours sur ce point car « les indications apportées par la Commission ne sauraient suffire à démontrer que ledit marché présentait un intérêt certain ». Le caractère très technique de la prestation et les coûts liés aux mesures de sécurité peuvent dissuader les candidats potentiels situés hors du territoire. La seule circonstance que le prestataire national travaille parfois pour d’autres États ne suffit pas à établir l’existence d’un tel intérêt transfrontalier. Cette solution protège les pouvoirs adjudicateurs contre des exigences de publicité excessives pour des marchés locaux dont l’enjeu financier reste manifestement trop faible.