Cour de justice de l’Union européenne, le 21 septembre 2023, n°C-116/22

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 21 septembre 2023, une décision relative à la protection des habitats naturels et de la biodiversité. Cette affaire s’inscrit dans le cadre de la constitution du réseau Natura 2000, pilier de la politique environnementale européenne pour la préservation des espèces. Un État membre s’est vu reprocher de ne pas avoir désigné certaines zones spéciales de conservation dans les délais prescrits par la réglementation de l’Union.

Les faits révèlent qu’après l’inscription de plusieurs milliers de sites sur les listes communautaires, le délai de six ans imparti pour leur désignation formelle a expiré. L’institution requérante a constaté que quatre-vingt-huit sites n’avaient pas fait l’objet d’un acte de désignation réglementaire ou contractuel conforme aux exigences du droit positif. Parallèlement, des objectifs de conservation détaillés faisaient défaut pour ces mêmes sites, tandis que les mesures nécessaires manquaient pour plus de sept cents autres zones.

La phase précontentieuse a permis aux parties d’échanger sur la portée des obligations découlant de la directive relative à la conservation des habitats naturels. L’institution requérante a soutenu que l’absence de désignation et de mesures suffisantes caractérisait un manquement grave aux engagements souscrits par la puissance publique. Elle a également allégué l’existence d’une pratique administrative structurelle défaillante concernant la précision quantitative et le caractère contraignant des objectifs de conservation retenus.

Le problème juridique posé à la juridiction concerne l’étendue des obligations pesant sur les États membres lors de la transition des sites d’importance communautaire vers les zones spéciales. La Cour devait déterminer si le simple respect partiel des délais et l’utilisation d’objectifs qualitatifs non contraignants pour les tiers satisfaisaient aux exigences européennes. La sanction de l’inertie administrative dans le processus de désignation précédera l’analyse de la souplesse du cadre juridique applicable aux objectifs de conservation.

**I. La sanction de l’inertie administrative dans le processus de désignation des sites**

L’article 4 de la directive impose aux États membres une procédure rigoureuse en quatre étapes pour assurer la protection effective des habitats naturels d’intérêt communautaire. Une fois le site retenu sur la liste commune, la puissance publique dispose d’un délai maximal de six ans pour procéder à sa désignation formelle.

**A. L’impératif de désignation formelle des zones spéciales de conservation**

L’État membre défendeur a tenté de justifier le retard de désignation par l’existence d’une protection légale générale applicable dès l’inscription sur la liste communautaire. La Cour rappelle cependant que « les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable » pour garantir la sécurité juridique nécessaire. La désignation constitue une étape indispensable du régime de protection puisqu’elle fonde l’application ultérieure des objectifs de conservation spécifiques à chaque site. Le manquement est ainsi constaté dès lors que les actes réglementaires n’ont pas été adoptés dans le délai imparti par l’autorité européenne compétente.

L’acte de désignation formelle ne constitue que le premier volet d’une obligation globale incluant la définition précise des finalités écologiques propres à chaque site protégé.

**B. Le lien de nécessité entre objectifs de conservation et mesures de gestion**

La détermination des priorités de conservation suppose que les objectifs correspondants soient fixés préalablement afin de répondre aux exigences écologiques des types d’habitats présents. La Cour souligne que « l’établissement des objectifs de conservation ne saurait pas davantage dépasser ce délai » de six ans prévu pour la désignation des zones. En l’espèce, l’absence d’objectifs détaillés pour quatre-vingt-huit sites empêche l’identification claire des nécessités de restauration ou de maintien de l’état favorable des espèces protégées. Le défaut de mesures de conservation pour sept cent trente-sept sites constitue également une violation caractérisée de l’obligation de mettre en œuvre des actions concrètes.

Le constat rigoureux du manquement temporel laisse toutefois place à une appréciation plus nuancée des exigences qualitatives pesant sur la définition des objectifs environnementaux nationaux.

**II. La relative souplesse du cadre juridique applicable aux objectifs de conservation**

L’institution requérante plaidait pour une interprétation stricte exigeant des données quantifiées et une force contraignante erga omnes pour chaque objectif de conservation défini au niveau national. La solution retenue par la juridiction privilégie une approche pragmatique tenant compte de la diversité biologique et des contraintes opérationnelles rencontrées par les autorités locales.

**A. Le rejet d’une obligation générale de quantification des objectifs**

Si les objectifs doivent être spécifiques et précis, la Cour refuse d’imposer systématiquement une formulation quantitative ou mesurable pour chaque espèce ou habitat naturel protégé. Cette exigence « doit être examinée dans chaque cas concret et ne saurait être reconnue comme étant une obligation générale » pesant sur les administrations nationales. Pour certains habitats complexes ou dynamiques, une approche purement chiffrée pourrait s’avérer inadaptée aux fluctuations naturelles des populations ou aux interactions écologiques entre sites. La preuve d’un manquement structurel n’est pas rapportée dans la mesure où l’institution requérante ne démontre pas la représentativité de ses exemples nationaux.

La flexibilité accordée dans la quantification des objectifs se double d’une reconnaissance de leur portée juridique indirecte à l’égard des acteurs privés et des tiers.

**B. La validation du caractère indirectement contraignant des objectifs de conservation**

La juridiction précise que les objectifs de conservation n’ont pas vocation à être juridiquement contraignants à l’égard des tiers de manière directe et autonome. Ces derniers servent avant tout de critères d’appréciation pour l’évaluation des incidences des plans ou projets susceptibles d’affecter l’intégrité des zones spéciales protégées. La protection de l’environnement est assurée par les mesures concrètes de conservation qui, elles, doivent revêtir un caractère impératif pour garantir l’effet utile de la réglementation. L’absence de distinction formelle entre le maintien et le rétablissement au stade des objectifs ne compromet pas la validité de la démarche administrative globale suivie.

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Hassan KOHEN
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