La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le treize juillet 2023, une décision fondamentale relative au déclenchement des procédures de consultation des travailleurs. Une société hôtelière a réduit son activité en transférant la gestion de plusieurs établissements vers une entité tierce appartenant au même groupe économique. L’employeur a favorisé le départ volontaire de neuf salariés vers le nouvel exploitant avant de procéder au licenciement économique de neuf autres agents. Les requérants ont contesté ces mesures devant les juridictions espagnoles en invoquant une fraude destinée à éviter la procédure complexe des licenciements collectifs. Le Juzgado de lo Social numéro deux de Palma a d’abord rejeté le recours des salariés licenciés contre ces diverses ruptures de contrat. Saisi en appel, le Tribunal Superior de Justicia des Îles Baléares a sollicité l’interprétation de la Cour de justice sur le moment des consultations. La question centrale porte sur l’instant précis où l’employeur doit engager le dialogue social lorsque les suppressions de postes envisagées atteignent les seuils légaux. Le juge européen affirme que cette obligation naît dès que l’employeur projette une diminution de l’emploi susceptible de constituer un licenciement collectif. Cette solution repose sur la nécessité de garantir l’effet utile de la procédure d’information tout en encadrant les restructurations d’entreprises. L’examen de la décision permet d’analyser l’anticipation de la procédure de consultation avant d’étudier l’encadrement des stratégies de restructuration.
I. L’anticipation nécessaire de la procédure de consultation
A. La prééminence du projet de restructuration sur la certitude des ruptures
La Cour de justice affirme que les obligations d’information doivent naître antérieurement à toute décision définitive de résilier les contrats de travail en vigueur. Le juge européen souligne que « l’obligation de consultation qu’il prévoit naît dès le moment où l’employeur, dans le cadre d’un plan de restructuration, envisage » des suppressions. Cette interprétation impose à la direction d’initier le dialogue social dès que les conséquences sur l’emploi deviennent probables en raison de choix stratégiques. L’employeur ne peut pas attendre de connaître le nombre exact de départs définitifs pour solliciter l’avis des représentants du personnel salarié. Cette solution garantit que les discussions portent sur des mesures alternatives réelles avant que la situation économique ne soit totalement figée par l’entreprise. L’anticipation du processus de consultation s’avère indispensable pour préserver l’utilité des échanges entre les partenaires sociaux durant la phase de planification économique.
B. La préservation de la finalité préventive de la norme européenne
La directive cherche principalement à éviter les ruptures de contrats ou à en réduire le nombre tout en atténuant les conséquences sociales des licenciements. La consultation tardive des représentants du personnel compromettrait gravement cet objectif car les marges de manœuvre de l’employeur seraient alors considérablement réduites ou inexistantes. Le juge précise d’ailleurs qu’une « consultation qui débuterait alors qu’une décision rendant nécessaires de tels licenciements collectifs a déjà été prise ne pourrait plus utilement porter » sur l’examen d’alternatives. L’effet utile de la norme exige que les délégués puissent influencer le processus décisionnel avant que les suppressions de postes ne soient irréversibles. La Cour de justice refuse ainsi une lecture restrictive qui permettrait à l’employeur de retarder l’information sous prétexte d’une incertitude sur les chiffres. Cette approche rigoureuse conditionne l’efficacité du droit social européen en matière de protection de l’emploi face aux mutations économiques de l’entreprise.
II. L’encadrement des stratégies de restructuration de l’employeur
A. L’appréciation globale des postes de travail menacés par le plan
L’arrêt impose de prendre en compte l’ensemble des postes dont la suppression est projetée lors de l’élaboration du plan de restructuration de l’activité. L’employeur connaissait l’envergure de la modification de son exploitation et pouvait prévoir une baisse significative de la charge de travail au siège social. Puisque la décision stratégique implique nécessairement d’envisager des licenciements collectifs, la procédure de consultation doit être engagée sans aucun délai supplémentaire indu. Le juge refuse de distinguer les départs volontaires des licenciements secs lorsque ces mesures découlent d’une même volonté globale de réduire les effectifs. Cette protection accrue des droits des travailleurs influence directement la manière dont les entreprises doivent désormais concevoir leurs projets de réorganisation interne. La réalité économique de la restructuration prime ainsi sur la qualification juridique formelle de chaque mode de rupture du lien contractuel de travail.
B. Les limites imposées à la flexibilité décisionnelle de la direction
La Cour de justice encadre strictement le pouvoir de direction en interdisant toute réduction artificielle du nombre de licenciements avant la phase de consultation obligatoire. L’employeur ne peut pas prétendre avoir acquis la certitude du nombre de départs seulement après avoir mis en œuvre des mesures de réduction d’effectifs. La décision confirme que les facteurs pertinents pour les discussions doivent être communiqués dès qu’une probabilité de dépassement des seuils de suppression est identifiée. Cette exigence de transparence limite la faculté de l’entreprise de restructurer ses services de manière unilatérale au détriment des droits collectifs des travailleurs. Enfin, cette jurisprudence harmonise les pratiques nationales en imposant un standard élevé de protection sociale au sein de l’espace économique européen commun.