Cour de justice de l’Union européenne, le 22 février 2024, n°C-660/22

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 22 février 2024, se prononce sur une demande de décision préjudicielle provenant d’Italie. Le litige trouve son origine dans une réforme législative imposant aux banques de crédit coopératif une restructuration obligatoire sous peine de lourdes sanctions pécuniaires. Une entité bancaire, dont le patrimoine excédait deux cents millions d’euros, a choisi de transférer son activité à une société par actions contre un versement. Elle a acquitté auprès du Trésor public une somme équivalente à vingt pour cent de son patrimoine net avant de solliciter le remboursement de celle-ci. La commission fiscale provinciale de Florence puis la commission fiscale régionale de la Toscane, le 15 novembre 2018, ont rejeté les prétentions de la requérante. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation italienne, par une décision du 11 octobre 2022, s’interroge sur la conformité de ce prélèvement au regard des traités. Elle demande si le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale subordonnant une mutation juridique au versement d’une quote-part du patrimoine net de l’apporteur. La Cour de justice conclut à l’irrecevabilité de la demande faute d’explications suffisantes sur le cadre juridique et le lien avec les dispositions européennes.

**I. L’irrecevabilité fondée sur l’insuffisance des précisions juridiques et factuelles**

**A. Le défaut de motivation concernant les règles de concurrence et de politique économique**

La juridiction de renvoi invoque plusieurs dispositions relatives aux règles de concurrence sans expliciter les motifs justifiant la nécessité d’une interprétation par la Cour. L’article 94 du règlement de procédure exige pourtant que les raisons du choix des dispositions dont l’interprétation est sollicitée soient clairement exposées par le juge. En l’espèce, les articles 101, 102, 120 et 173 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne font l’objet d’aucune démonstration de lien. La Cour rappelle que la décision de renvoi doit permettre aux gouvernements des États membres et aux intéressés de présenter utilement leurs observations écrites. « La juridiction de renvoi n’explique pas les raisons pour lesquelles elle demande l’interprétation de ces dispositions ni le lien qu’elle établit entre lesdites dispositions ». Cette lacune procédurale empêche le juge de l’Union d’apporter une réponse utile à la résolution d’un litige dont les contours juridiques demeurent trop imprécis.

**B. L’absence d’élément transfrontalier caractérisant la libre circulation des capitaux**

L’examen de la libre circulation des capitaux se heurte au caractère purement interne de la situation soumise par la Cour de cassation italienne à la Cour. Le litige oppose exclusivement une société établie en Italie à son administration fiscale nationale sans qu’un élément de rattachement transfrontalier ne soit positivement établi. Les dispositions du traité ne trouvent pas à s’appliquer lorsque tous les éléments d’une cause se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre. La juridiction nationale doit alors indiquer en quoi l’interprétation sollicitée est nécessaire malgré l’absence apparente de lien avec les libertés fondamentales garanties par l’Union. La Cour précise qu’il faut « faire ressortir les éléments concrets, à savoir des indices non pas hypothétiques, mais certains, permettant d’établir, de manière positive, l’existence » du lien. Le simple argument selon lequel la mesure pénaliserait des banques susceptibles d’attirer des investisseurs étrangers ne constitue qu’une conjecture insuffisante pour fonder la compétence. L’exigence de précision factuelle s’étend également au cadre du droit dérivé dont l’application demeure incertaine faute de caractérisation suffisante de la structure de l’entité.

**II. Les incertitudes persistantes sur l’applicabilité du droit dérivé**

**A. L’impossibilité de qualifier la nature juridique de l’entité requérante**

L’applicabilité de la directive 2008/7 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux suppose que l’entité concernée revête la qualité de société de capitaux. Le juge européen relève que la décision de renvoi omet de préciser si les banques de crédit coopératif italiennes entrent dans le champ d’application personnel défini. L’article 2 de ladite directive énumère limitativement les formes sociales concernées ou pose des critères de négociabilité des parts et de responsabilité limitée des associés. Or, « la juridiction de renvoi n’a pas abordé la question de savoir si les banques de crédit coopératif […] relèvent de la notion de “société de capitaux” ». Cette qualification est pourtant indispensable pour déterminer si l’opération de restructuration peut bénéficier de la neutralité fiscale instaurée par le législateur de l’Union européenne. L’absence d’éléments sur la structure juridique de la requérante interdit ainsi toute vérification de la compatibilité de la taxe nationale avec les exigences européennes.

**B. L’indétermination du régime fiscal applicable au prélèvement contesté**

La Cour s’interroge sur la nature fiscale exacte du prélèvement de vingt pour cent afin de vérifier s’il constitue un impôt indirect prohibé par la directive. Le fait générateur de la somme versée semble résider dans la réalisation d’une opération de restructuration spécifique plutôt que dans l’exercice habituel d’une activité. Toutefois, les informations transmises ne permettent pas de conclure avec certitude à la qualification d’impôt indirect frappant un apport de capital ou une restructuration. La juridiction nationale n’a pas fourni de précisions suffisantes sur l’application éventuelle des exceptions prévues à l’article 6 de la directive autorisant certains droits. « La demande de décision préjudicielle ne comporte pas les éléments nécessaires pour considérer que cette directive serait applicable à ce litige » dans sa configuration actuelle. La Cour conclut à l’irrecevabilité tout en rappelant la faculté pour le juge interne de soumettre une nouvelle demande plus complète et mieux étayée.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture