Cour de justice de l’Union européenne, le 22 octobre 2015, n°C-378/14

Par un arrêt du 22 octobre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne précise les modalités d’octroi des prestations familiales au sein de l’espace communautaire. Le litige oppose un travailleur résidant en Allemagne à l’administration de cet État concernant le versement d’allocations pour son enfant résidant sur le territoire polonais. L’intéressé a occupé un emploi salarié sur le territoire allemand alors que la mère de l’enfant travaillait sur le territoire polonais sans solliciter d’aide financière. La demande de l’assuré est rejetée au motif que la mère, vivant avec l’enfant, est la seule bénéficiaire légale en vertu de la loi allemande. Le tribunal des finances de Düsseldorf accueille le recours du père en considérant que la famille doit être traitée comme résidant intégralement en Allemagne. Saisie d’un pourvoi en révision par l’administration, la Cour fédérale des finances interroge la juridiction européenne sur l’incidence de la fiction de résidence des règlements. Le juge doit déterminer si cette fiction désigne impérativement un bénéficiaire non résident et si l’inaction de ce dernier transfère le droit au parent résident. La Cour répond que la fiction de résidence peut désigner un non-résident comme bénéficiaire sans que l’absence de demande n’entraîne de transfert de créance. Cette solution impose d’analyser d’abord l’application de la fiction de résidence aux membres non résidents avant d’étudier la dissociation entre la demande et la titularité.

**I. L’application d’une fiction de résidence étendue aux membres de la famille non résidents**

**A. L’assimilation des situations de fait au regard de la législation compétente**

La Cour de justice rappelle d’abord que les règlements européens visent à garantir la libre circulation des travailleurs par une coordination efficace des régimes sociaux. Selon le dispositif, « une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l’État membre compétent, y compris pour les membres de sa famille ». Cette règle de l’article 67 du règlement n o 883/2004 instaure une fiction juridique traitant les membres de la famille résidant ailleurs comme des résidents nationaux. Le texte précise que « la situation de l’ensemble de la famille est prise en compte comme si toutes les personnes concernées étaient soumises à la législation ». L’objectif est d’empêcher qu’une personne quittant un État membre pour un autre ne perde ses droits sociaux par l’éloignement géographique de ses proches parents. Cette neutralisation de la frontière assure que le droit aux prestations reste effectif malgré la dispersion territoriale des différents membres composant le foyer familial concerné.

**B. La persistance de la compétence nationale pour la désignation du titulaire**

La fiction de résidence n’entraîne pas une désignation automatique du bénéficiaire par le droit de l’Union, qui renvoie cette charge à la seule norme interne. La Cour souligne qu’« il incombe à l’autorité nationale compétente de déterminer quelles sont les personnes qui, conformément au droit national, disposent d’un droit ». Le droit allemand prévoit par exemple que l’allocation est servie exclusivement au parent qui a accueilli l’enfant dans son ménage pour couvrir ses frais. L’interprétation européenne confirme qu’un parent résidant dans un autre État peut être reconnu titulaire de la créance si les conditions nationales sont par ailleurs remplies. Dès lors, la situation d’un enfant vivant en Pologne est assimilée à une résidence en Allemagne pour l’application des critères de priorité fixés par l’impôt. Cette solution protège la finalité sociale de la prestation sans modifier les règles de désignation propres à chaque système de sécurité sociale de l’Union européenne.

**II. Une dissociation nécessaire entre la faculté d’agir et la qualité de créancier**

**A. La recevabilité d’une demande introduite par un parent non titulaire**

Le règlement n o 987/2009 organise une procédure supplétive pour éviter que l’inaction du titulaire ne prive l’ensemble de la famille du bénéfice légal des allocations. L’article 60 énonce que « lorsqu’une personne pouvant prétendre au bénéfice des prestations n’exerce pas son droit, une demande […] présentée par l’autre parent est prise en compte ». Cette disposition permet au parent résidant sur le territoire national de déclencher l’examen du dossier même s’il n’est pas le créancier légal des sommes. Le texte européen facilite ainsi l’accès aux droits sociaux en multipliant les personnes autorisées à introduire une requête auprès des institutions compétentes de l’État. La Cour précise qu’il suffit qu’une personne susceptible de prétendre aux prestations introduise la demande pour que l’administration soit tenue de statuer sur le fond. Cette ouverture procédurale constitue une garantie contre la perte de droits financiers fondamentaux en cas de négligence ou de désaccord entre les deux parents séparés.

**B. L’indifférence de l’inaction du bénéficiaire primaire sur la titularité du droit**

La possibilité d’introduire une demande ne doit pas être confondue avec la titularité effective de la créance, laquelle demeure fixée par le seul droit interne compétent. La juridiction souligne qu’« il importe d’opérer une distinction entre l’introduction d’une demande de prestations familiales et le droit à percevoir de telles prestations ». Le fait qu’un parent résidant en Allemagne sollicite les fonds ne lui confère pas automatiquement la qualité de bénéficiaire si l’autre parent est désigné prioritaire. L’inaction du bénéficiaire résidant à l’étranger ne saurait entraîner un transfert de son droit de créance vers le parent qui a valablement déposé la demande. Le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que l’administration verse les sommes à une personne différente de celle ayant engagé la procédure administrative initiale. En définitive, la coordination européenne assure le paiement de la prestation mais laisse aux États le soin de désigner précisément le titulaire légal de l’allocation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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