La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 25 avril 2024, apporte des précisions majeures sur le régime de la TVA applicable aux prélèvements. Un exploitant d’une installation de biogaz produit simultanément de l’électricité et de la chaleur dans le cadre d’un processus technique de cogénération. Celui-ci cède gratuitement la majeure partie de cette chaleur à un entrepreneur et à une société commerciale pour l’exercice de leurs activités respectives. L’administration fiscale allemande considère cette transmission comme un prélèvement taxable et réclame le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée correspondante. Le litige est porté devant le Tribunal des finances, puis devant la Cour fédérale des finances qui décide de solliciter l’interprétation de la juridiction européenne. La question posée porte sur la qualification de cette cession gratuite et sur les éléments constitutifs du prix de revient servant de base d’imposition. La Cour répond que la cession gratuite constitue une livraison de biens effectuée à titre onéreux, indépendamment du droit à déduction dont dispose le bénéficiaire. Elle ajoute que le prix de revient inclut l’intégralité des coûts de production, y compris les frais financiers n’ayant pas nécessairement supporté la taxe en amont. L’étude de cette solution conduit à analyser l’assimilation de la cession gratuite à une opération onéreuse, avant d’examiner les modalités de détermination du prix de revient.
I. L’assimilation de la transmission gratuite à une livraison de biens onéreuse
A. L’indifférence du statut fiscal du destinataire de la chaleur
La Cour affirme que l’article 16 de la directive doit être interprété en ce sens que la cession gratuite constitue un prélèvement assimilable à une livraison onéreuse. Cette qualification juridique s’applique alors même que le bénéficiaire utilise la chaleur pour des besoins économiques lui ouvrant un droit à déduction de la taxe. Le juge européen souligne qu’il ne résulte pas du libellé de la disposition qu’il « existerait une condition supplémentaire liée au statut fiscal du destinataire de cette transmission ». La juridiction précise ainsi que le prélèvement d’un bien de l’entreprise par un assujetti doit être soumis à une imposition ultérieure, quel qu’en soit le bénéficiaire. Une interprétation contraire obligerait l’assujetti à effectuer des recherches complexes pour vérifier le statut de son cocontractant, créant ainsi d’importantes difficultés pratiques. La solution retenue assure donc une application uniforme de la taxe en se fondant exclusivement sur la nature gratuite de l’opération de transmission.
B. La poursuite de l’objectif d’égalité avec le consommateur final
L’imposition de ces prélèvements vise à écarter toute situation de consommation finale non taxée, conformément aux objectifs fondamentaux du système commun de TVA. La Cour rappelle que la réglementation cherche à garantir « une égalité de traitement entre l’assujetti qui prélève un bien pour ses besoins privés et le consommateur final ». En l’espèce, l’exploitant avait déduit la totalité de la taxe en amont pour l’installation ayant produit la chaleur cédée sans contrepartie financière. Dès lors, la soumission à la taxe des biens transmis gratuitement ne connaît d’autre exception que celle relative aux cadeaux de faible valeur et aux échantillons. La chaleur prélevée et transmise ne saurait entrer dans ces catégories dérogatoires, ce qui justifie pleinement son assujettissement lors de la sortie du patrimoine. Cette approche rigoureuse prévient tout avantage indu dont pourrait bénéficier un assujetti par rapport à un acheteur ordinaire se procurant un bien identique.
II. Une définition extensive des éléments constitutifs du prix de revient
A. L’inclusion nécessaire des coûts directs et indirects de production
L’article 74 de la directive TVA prévoit qu’à défaut de prix d’achat, la base d’imposition est constituée par le prix de revient de l’opération. La Cour juge que ce prix doit comprendre non seulement les coûts directs de fabrication, mais également les frais indirectement imputables comme les dépenses de financement. Elle considère en effet que « le prix de revient devrait être aussi proche que possible du prix d’achat » afin de refléter la réalité économique. L’administration fiscale doit donc examiner en détail tous les éléments de valeur ayant contribué à la formation du coût final du bien prélevé. L’objectif de parvenir à une évaluation simple de la valeur des prélèvements ne peut justifier l’exclusion des charges indirectes supportées par l’entreprise productrice. Cette méthode de calcul permet d’établir une base d’imposition cohérente avec la valeur de marché du bien au moment où s’effectue le prélèvement.
B. L’indifférence de la taxation préalable des charges engagées
La juridiction européenne précise que les éléments du prix de revient doivent être intégrés au calcul, qu’ils aient ou non été grevés de TVA en amont. Elle relève qu’aucune disposition de la directive n’exige que seuls les coûts ayant supporté la taxe entrent dans la détermination de la base imposable. Le prix de revient constitue un agrégat économique global qui ne dépend pas du régime fiscal antérieur des différents facteurs de production utilisés. Par conséquent, l’assujetti ne peut exclure certaines dépenses du calcul sous prétexte qu’elles n’auraient pas ouvert droit à une déduction de la taxe lors de leur engagement. Cette solution garantit que la taxe collectée sur le prélèvement repose sur une valeur représentative de l’effort économique réel consenti par l’entreprise fabricante. Elle assure enfin une parfaite neutralité fiscale en évitant que le mode de financement de la production n’influence le montant de la taxe finale due.