Cour de justice de l’Union européenne, le 25 juillet 2018, n°C-5/17

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 25 juillet 2018, une décision importante relative à l’interprétation du régime commun de taxe sur la valeur ajoutée. Ce litige concerne l’application de l’exonération fiscale aux services de gestion de plans de soins dentaires proposés à des patients par un prestataire spécialisé. Ce dernier organisait le prélèvement mensuel de forfaits sur les comptes bancaires des souscripteurs pour les reverser, après déduction de sa rémunération, aux dentistes concernés. L’administration fiscale a contesté l’exonération de cette prestation au motif qu’elle constituait un service administratif et technique soumis au taux normal de la taxe. Le tribunal de première instance (chambre de la fiscalité) siégeant au Royaume-Uni a d’abord accueilli la demande d’exonération par une décision du 22 novembre 2013. Le tribunal supérieur (chambre de la fiscalité et de la Chancery) a décidé de surseoir à statuer pour interroger les juges européens sur la portée de cette qualification. La question de droit posée porte sur le point de savoir si l’ordre de prélèvement donné à un établissement financier constitue une opération de virement. Les juges estiment qu’un tel service ne remplit pas les fonctions essentielles de transfert de fonds et confirment l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. L’analyse du raisonnement implique d’étudier la qualification administrative retenue par la Cour (I) avant d’envisager la portée restrictive attachée aux exonérations financières (II).

**I. La qualification administrative du service de gestion des paiements**

**A. L’absence de modification juridique et financière directe** La Cour précise que le virement consiste en l’exécution d’un transfert de fonds entraînant un changement de la situation juridique et financière entre les parties. Elle souligne que l’exonération ne s’applique qu’aux opérations formant « un ensemble distinct qui, apprécié de façon globale, a pour effet de remplir les fonctions spécifiques ». Le prestataire en cause ne procède pas lui-même à la matérialisation des sommes sur les comptes bancaires mais se contente de solliciter les banques. L’activité examinée « ne réalise pas, en tant que telle, les modifications juridiques et financières caractérisant le transfert d’une somme d’argent » au sens de la directive. Les juges privilégient une approche fonctionnelle en vérifiant si l’acte du prestataire modifie directement les rapports de créance entre le débiteur et le créancier. L’intervention technique demeure extérieure à la mécanique comptable des flux financiers gérés exclusivement par les établissements de crédit habilités à porter les écritures correspondantes.

**B. Le caractère préparatoire de l’intervention technique** Le service fourni par la société est qualifié de simple étape préalable nécessaire à la réalisation de l’opération de paiement ou de virement finale. La jurisprudence considère qu’une prestation purement matérielle ou administrative ne peut bénéficier de la dérogation fiscale prévue pour les mouvements de capitaux proprement dits. La Cour affirme qu’une telle prestation « constitue seulement une étape préalable à l’opération concernant les paiements et les virements » visée par la législation européenne applicable. Le fait que le service soit indispensable pour réaliser le paiement ne permet pas, à lui seul, de justifier l’application de l’exonération demandée. Cette distinction entre l’aspect fonctionnel du transfert de fonds et les tâches administratives environnantes renforce la distinction entre les opérations financières et les prestations connexes. L’exclusion du service du champ des opérations financières conduit alors à s’interroger sur la rigueur appliquée par le juge à l’égard des régimes dérogatoires.

**II. La portée restrictive des exonérations en matière de taxe sur la valeur ajoutée**

**A. L’exigence d’une interprétation stricte des dérogations** Les exonérations de taxe sur la valeur ajoutée constituent des dérogations au principe général de taxation de toute prestation effectuée à titre onéreux par un assujetti. La Cour de justice rappelle systématiquement que « les termes employés pour désigner lesdites exonérations sont d’interprétation stricte » afin de préserver les recettes fiscales des États. Cette rigueur interprétative interdit d’étendre le bénéfice de l’exonération à des services qui ne relèvent pas par nature du domaine des opérations financières spécifiques. L’objectif du législateur est d’éviter les difficultés liées à la détermination de la base d’imposition pour des flux monétaires complexes ou difficilement quantifiables. En l’espèce, la rémunération du prestataire est aisément identifiable puisqu’elle correspond à la différence entre les sommes prélevées et les montants reversés aux praticiens. L’absence de difficulté technique pour évaluer la base d’imposition justifie l’exclusion du régime dérogatoire pour ce type de prestation de services de gestion.

**B. L’indifférence des structures contractuelles sur la qualification fiscale** La restructuration des accords contractuels visant à présenter le service comme étant fourni directement au patient n’influence pas la nature intrinsèque de l’opération réalisée. La Cour observe que malgré les changements purement administratifs affichés, la prestation demeure substantiellement identique à celle précédemment fournie au bénéfice exclusif des seuls dentistes. La modification du destinataire de la facture ne suffit pas à transformer une prestation administrative de recouvrement de créances en une opération de virement exonérée. Le principe de neutralité fiscale s’oppose à ce que des prestations similaires soient traitées différemment en fonction du montage juridique retenu par les opérateurs économiques. Les juges européens confirment ainsi que la réalité économique des services prime sur les qualifications formelles choisies par les parties pour limiter leur charge fiscale globale. Cette décision clôt les interrogations sur la possibilité de contourner la taxation par une simple scission contractuelle des services de gestion de plans financiers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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