La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 27 février 2020, un arrêt relatif à l’opposabilité d’une clause attributive de juridiction. Cette décision précise l’articulation entre la liberté contractuelle en matière de grands risques et la protection nécessaire de l’assuré tiers au contrat. Une société de gardiennage bénéficiait d’une police d’assurance de responsabilité civile souscrite par sa société mère auprès d’une compagnie d’assurance étrangère. À la suite d’un vol commis dans une bijouterie dont elle assurait la sécurité, l’entreprise de surveillance a sollicité la garantie de son assureur. La compagnie d’assurance a opposé une clause du contrat désignant exclusivement les juridictions de son siège pour trancher les différends nés de la convention. Le tribunal régional de Vilnius s’est déclaré incompétent le 21 novembre 2017, considérant que l’assuré avait indirectement consenti aux stipulations contractuelles liant sa société mère. Saisie d’un appel, la Cour d’appel de Lituanie a infirmé ce jugement par un arrêt du 29 mars 2018 en invoquant le droit d’option de l’assuré. La Cour suprême de Lituanie a décidé de surseoir à statuer afin d’interroger la juridiction européenne sur l’interprétation du règlement n° 1215/2012. Le juge européen doit déterminer si une clause attributive de juridiction concernant un grand risque est opposable à l’assuré n’ayant pas expressément souscrit à ladite clause. La Cour répond que cette stipulation « ne peut être opposée à la personne assurée par ce contrat, qui n’est pas un professionnel du secteur des assurances ». L’étude de cette solution suppose d’analyser l’inopposabilité de la clause à l’assuré tiers avant d’envisager la consécration d’un critère fondé sur la sécurité juridique.
I. L’inopposabilité de la clause attributive de juridiction à l’assuré tiers
A. La primauté de la protection de la partie économiquement faible
La Cour rappelle que le règlement n° 1215/2012 instaure des règles de compétence spéciales destinées à protéger la partie la plus faible au contrat d’assurance. Cette protection vise à garantir que le demandeur puisse assigner la partie forte devant une juridiction d’un État membre qui lui soit facilement accessible. La section relative aux assurances déroge aux règles générales de compétence pour favoriser les intérêts de l’assuré, du bénéficiaire ou du preneur. Le juge européen souligne que « la prorogation de compétence demeurait strictement encadrée par l’objectif de protection de la personne économiquement la plus faible ». L’efficacité de ce dispositif serait compromise si une clause, à laquelle l’assuré n’a pas consenti, lui imposait un for lointain et contraignant. Cette interprétation téléologique assure la cohérence du système européen de conflit de juridictions en matière de contrats d’assurance, de consommation et de travail. Le maintien de cette faveur à l’égard de l’assuré justifie l’interprétation restrictive des dérogations conventionnelles permises en matière de grands risques.
B. L’interprétation restrictive des dérogations relatives aux grands risques
Le législateur autorise des conventions dérogatoires lorsque le contrat d’assurance couvre des risques d’une importance particulière, qualifiés de grands risques par le droit de l’Union. Les parties contractantes sont alors présumées se trouver sur un pied d’égalité, rendant inutile l’application des règles protectrices habituelles de la compétence judiciaire. La Cour précise que la puissance économique du preneur ne reflète pas nécessairement celle de l’assuré tiers qui bénéficie pourtant de la garantie. La faculté de déroger aux règles générales « ne saurait, en règle générale, être étendue au tiers assuré » n’ayant pas participé à la négociation contractuelle initiale. L’opposabilité de la clause ne peut résulter du seul caractère du risque couvert sans une acceptation expresse de la part de l’assuré. Cette solution évite que des stipulations convenues entre deux puissantes entreprises ne privent un tiers de ses droits fondamentaux d’accès au juge. La protection de la partie faible s’accompagne d’une volonté affirmée de fonder la compétence sur des critères objectifs garantissant la sécurité des transactions juridiques.
II. La consécration d’un critère de compétence fondé sur la sécurité juridique
A. L’éviction d’une analyse factuelle de la puissance économique
Le juge européen rejette l’idée d’une appréciation au cas par cas de la situation économique réelle de l’assuré lors du règlement d’un litige. Une telle démarche ferait naître un risque d’insécurité juridique incompatible avec l’objectif de prévisibilité des règles de compétence énoncé par le règlement européen. L’examen des critères définissant les grands risques exigerait des vérifications complexes qui ralentiraient inutilement le cours de la justice et l’identification du tribunal saisi. La Cour affirme qu’une telle analyse « irait à l’encontre de l’objectif du règlement n° 1215/2012 » en raison de la difficulté d’établir une limite claire. Le droit de l’Union privilégie une application objective des règles de compétence pour assurer une harmonie décisionnelle entre les juridictions des différents États membres. Cette rigueur méthodologique garantit aux justiciables une connaissance immédiate de la juridiction compétente sans dépendre d’une évaluation subjective de leur propre puissance financière. L’objectivation du critère de protection trouve toutefois ses limites lorsque l’assuré dispose de compétences professionnelles avérées dans le secteur spécifique de l’assurance.
B. La qualité de professionnel des assurances comme limite de la protection
La décision module le principe d’inopposabilité en réservant le sort des tiers agissant dans le cadre d’une activité professionnelle spécialisée en assurance. La protection spéciale ne se justifie pas dans les rapports entre professionnels du secteur des assurances dont aucun ne peut être présumé en faiblesse. Cette exception repose sur la connaissance technique des mécanismes assurantiels qui permet aux entreprises concernées d’évaluer sereinement la portée des clauses de juridiction. La clause litigieuse demeure inopposable dès lors que l’assuré « n’est pas un professionnel du secteur des assurances » et n’a pas manifesté son accord. La Cour maintient ainsi un équilibre entre le respect de la liberté contractuelle des grands acteurs économiques et la sauvegarde des intérêts des assurés ordinaires. Le juge confirme que l’application des règles de compétence spéciales ne doit pas s’étendre à des personnes pour lesquelles la protection n’est pas nécessaire.