Cour de justice de l’Union européenne, le 27 juin 2024, n°C-164/19

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 25 mars 2021, une décision fondamentale relative à la licéité des accords de règlement amiable. Un laboratoire titulaire de brevets sur un antidépresseur avait conclu plusieurs contrats avec des fabricants de médicaments génériques pour différer leur entrée sur le marché. En contrepartie de cet engagement, les entreprises génériques percevaient des transferts financiers importants de la part du titulaire des droits de propriété intellectuelle. L’autorité de concurrence de l’Union a qualifié ces pratiques d’accords restrictifs de concurrence et a prononcé de lourdes sanctions pécuniaires à l’encontre des participants.

Le Tribunal de l’Union européenne a d’abord rejeté le recours en annulation formé contre la décision de cette autorité administrative par un arrêt du 8 septembre 2016. Le fabricant de médicaments concerné a ensuite saisi la juridiction supérieure pour contester la qualification d’infraction par l’objet et la notion de concurrence potentielle. Il soutenait notamment que l’existence de brevets valides empêchait toute concurrence réelle et que les paiements litigieux constituaient des transactions transactionnelles légitimes. Le litige soulève la question de savoir si un accord amiable prévoyant des paiements inversés constitue une restriction de concurrence au sens du droit de l’Union. La Cour confirme l’analyse des premiers juges et décide que « le pourvoi est rejeté », maintenant ainsi les amendes infligées aux entreprises du secteur pharmaceutique. L’examen de la caractérisation rigoureuse d’une restriction de concurrence par l’objet précédera l’étude de la confirmation de la sévérité judiciaire face aux accords de report.

I. La caractérisation rigoureuse d’une restriction de concurrence par l’objet

A. L’existence d’une concurrence potentielle entre les parties

Les juges européens vérifient d’abord si les fabricants de génériques disposaient de possibilités réelles et concrètes d’accéder au marché au moment de la signature des contrats. Cette capacité d’entrée suffit à établir une relation de concurrence potentielle entre le laboratoire d’origine et les entreprises souhaitant commercialiser la version générique du médicament. La Cour précise que l’existence de brevets ne fait pas obstacle à cette qualification tant que les barrières à l’entrée ne sont pas jugées totalement insurmontables. La reconnaissance de cette concurrence potentielle permet alors aux magistrats d’analyser la nature même des transferts de valeur opérés entre les partenaires de l’accord litigieux.

B. La nature restrictive des transferts de valeur inversés

La décision souligne que le versement d’une somme d’argent importante incite les génériqueurs à renoncer à contester la validité des titres de propriété industrielle en cause. Cette substitution des profits attendus de la concurrence par un paiement certain caractérise une restriction par l’objet, sans qu’il soit nécessaire d’en démontrer les effets. Les magistrats considèrent que de tels arrangements n’ont d’autre but que d’exclure les concurrents du marché pour protéger les marges monopolistiques de l’entreprise dominante. Cette démonstration du caractère anticoncurrentiel par l’objet conduit logiquement la juridiction à valider les sanctions et à rejeter les arguments fondés sur la propriété intellectuelle.

II. La confirmation de la sévérité judiciaire face aux accords de report

A. L’absence de justification par la protection des brevets

L’arrêt écarte l’argument selon lequel la protection des brevets justifierait des clauses d’exclusion, dès lors que ces dernières résultent d’un accord financier occulte et anormal. Le droit de la concurrence s’oppose à ce que les droits de propriété intellectuelle servent de paravent à des pratiques concertées visant à geler les parts de marché. La Cour estime que la protection légale des titres ne saurait inclure le droit de payer des tiers pour qu’ils s’abstiennent de toute velléité de concurrence. Une telle interprétation des limites de la protection industrielle dessine les contours d’une politique de concurrence résolument protectrice de la structure globale du marché intérieur.

B. La portée du rejet du pourvoi sur la politique de concurrence

Le rejet définitif du recours consolide la jurisprudence relative aux accords de report d’entrée et renforce les pouvoirs de contrôle de l’autorité européenne de la concurrence. Cette solution impose aux acteurs pharmaceutiques une vigilance accrue lors de la négociation de transactions amiables mettant fin à des contentieux portant sur la validité de brevets. La juridiction garantit ainsi que le jeu concurrentiel et l’accès des patients à des traitements moins onéreux ne soient pas entravés par des stratégies financières d’éviction. L’arrêt marque ainsi une étape cruciale dans la lutte contre les comportements abusifs visant à prolonger artificiellement des monopoles légaux au détriment de l’intérêt général.

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Hassan KOHEN
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