Cour de justice de l’Union européenne, le 28 octobre 2021, n°C-319/19

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 28 octobre 2021, précise le champ d’application de la directive 2014/42 relative à la confiscation. Un litige opposait une autorité administrative de lutte contre la corruption à une ancienne dirigeante d’un département hospitalier au sujet de biens prétendument acquis illicitement. La défenderesse était poursuivie pénalement pour avoir accompli des actes dépassant ses compétences afin d’obtenir un avantage matériel pour elle-même ou une société liée. Une enquête administrative a révélé une disproportion majeure entre le patrimoine de l’intéressée et ses revenus légaux, entraînant une demande de confiscation devant le juge civil. Le Tribunal de la ville de Sofia a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle portant sur la conformité de ce régime national avec le droit européen. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’applicabilité des garanties minimales de la directive à une procédure nationale menée indépendamment de toute condamnation pénale définitive. La Cour juge que le texte européen ne régit pas les mesures de confiscation ordonnées à l’issue d’une procédure ne portant pas sur une infraction pénale. L’étude de cette solution conduit à examiner l’exclusion de la confiscation civile de l’harmonisation européenne avant d’analyser le maintien de la compétence nationale souveraine.

I. L’exclusion de la confiscation civile du champ d’application de la directive

A. Le critère organique de la condamnation pénale définitive

Le juge européen fonde son raisonnement sur la base juridique de la directive, laquelle s’inscrit exclusivement dans le cadre de la coopération judiciaire pénale. L’article quatre exige que les États membres permettent la confiscation « sous réserve d’une condamnation définitive pour une infraction pénale, qui peut aussi avoir été prononcée par défaut ». Cette disposition lie indissociablement la mesure de contrainte patrimoniale à la reconnaissance préalable d’une culpabilité par une juridiction répressive selon des formes strictes. La Cour souligne que la directive est un acte visant à obliger les États membres à mettre en place des « règles minimales communes de confiscation » en matière criminelle. Cette exigence de condamnation préalable souligne l’inadéquation du texte aux régimes nationaux privilégiant une approche purement patrimoniale et civile déconnectée du sort de l’action publique.

B. L’autonomie de la procédure nationale de recouvrement

La législation bulgare de 2012 organise une procédure de confiscation indépendante de la procédure pénale engagée contre l’auteur présumé d’une infraction ou de ses proches. La Cour relève que cette action se concentre exclusivement sur les biens acquis illégalement et se poursuit sans considération pour l’issue du procès criminel parallèle. Elle affirme que « la décision que la juridiction de renvoi est appelée à adopter dans l’affaire au principal ne s’inscrit pas dans le cadre d’une procédure pénale ». La mesure sollicitée ne dépend pas d’une condamnation, ce qui place l’entier dispositif hors du périmètre défini par le législateur de l’Union européenne. Cette constatation de l’inapplicabilité matérielle de la directive permet alors de consacrer la liberté des États membres dans la définition de leurs outils de lutte.

II. La préservation de la souveraineté étatique en matière non pénale

A. Le caractère supplétif des normes minimales européennes

L’arrêt rappelle que la directive n’établit que des règles minimales et ne prive pas les États de la possibilité de prévoir des pouvoirs plus étendus. Le considérant vingt-deux précise que les autorités nationales peuvent adopter des dispositions législatives dépassant le cadre harmonisé, notamment en ce qui concerne les règles de preuve. La réglementation de la confiscation civile entre donc dans la compétence résiduelle des États membres, faute d’une volonté d’harmonisation complète par les institutions européennes. La Cour précise que la directive « ne régit pas la confiscation d’instruments provenant d’activités illégales ordonnée dans le cadre d’une procédure ne portant pas sur des infractions ». Ce domaine demeure régi par le droit interne, lequel peut instaurer des mécanismes de présomption d’illégalité fondés sur la disproportion manifeste des revenus.

B. Les limites de l’invocabilité de la Charte des droits fondamentaux

L’inapplicabilité de la directive entraîne par voie de conséquence l’impossibilité d’invoquer les protections offertes par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’article cinquante-et-un prévoit que ses dispositions s’adressent aux États uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union au sens strict du terme. La Cour juge que la législation nationale en cause ne saurait être considérée comme une mise en œuvre de la directive 2014/42 sur la confiscation. Elle se déclare donc incompétente pour interpréter les articles dix-sept et quarante-huit de la Charte relatifs au droit de propriété et à la présomption d’innocence. Les justiciables doivent dès lors rechercher la protection de leurs droits fondamentaux dans les dispositions constitutionnelles internes ou dans la Convention européenne des droits de l’homme.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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